Sylvain Bedfert – Porcs – Ille-et-Vilaine

Producteur de porcs, à Romillé (35), Henri Daucé s’est installé en 1976 avec sa femme. En 1983, il se met en GAEC avec une de ses soeurs et son beau-frère. Le GAEC dispose de deux sites et produit 350 000 litres de lait par an et du porc. Les vaches sont sur un site à Bédée tandis que les génisses laitières et le petit atelier naisseur-engraisseur sont à Romillé. En 1990 l’atelier porc passe en plein air, et en 2000, Henri et sa femme signent un CTE. Le couple décide de produire du porc fermier Label Rouge, avec les fermiers d’Argoat. En 2015, après une fin de carrière sous le signe d’une crise porcine qui n’en finit plus, Henri a passé le relais à Sylvain Bedfert, qui produit désormais du porc bio sur la ferme. Interview croisée.

A quel moment et dans quelles conditions avez envisagé la transmission de votre ferme ?

Henri : Ma sœur et mon beau frère ont pris leur retraite en 2010. On s’est posée la question de ce qu’on allait transmettre au niveau du GAEC. D’un commun accord, on s’est séparé pour que chacun gère sa propre transmission. On se retrouvait avec 32 ha à la séparation du GAEC. On a terminé pendant 4 ans avec 70 truies naisseur-engraisseur sur paille. On n’était même plus en Label Rouge, puisque les fermiers d’Argoat, avaient mis la clé sous la porte. La fin de carrière a été un peu difficile, j’étais finalement assez pressé d’arrêter. Quand on perd de l’argent régulièrement à travailler, on n’a pas envie de continuer à travailler trop longtemps.

Vous vouliez que la ferme garde sa vocation porcine ?

Henri : Quand on a mis en place le Label Rouge, je ne voulais pas faire de bâtiment spécialisé, parce qu’au moment de la transmission, je n’aurai pu transmettre qu’un outil spécialisé, ce qui fermait des possibilités. Donc on a fait un bâtiment le plus polyvalent possible. J’étais ouvert, je m’étais donné 2 ans pour trouver quelqu’un. Le fait que Sylvain veuille faire du porc, ça m’intéressait et ça permettait de valoriser les bâtiments, qui étaient aux normes bio sans qu’on le sache. .

Comment vous-êtes vous rencontrés ?

Sylvain : J’ai travaillé en porc conventionnel et en porc bio. J’étais salarié chez Pierre-Yves Govin, éleveur de porcs bio à Romillé, qui m’a fait rencontrer Henri début 2013. J’avais  en tête de m’installer mais mes parents ne sont pas agriculteurs. Ça n’était pas forcément facile, et je ne pensais pas que je trouverai aussi rapidement. L’opportunité a fait le reste, puisque la ferme correspondait bien à mon projet : m’installer en porc bio.  Avec l’aide de Bio Direct, j’ai pu chiffrer le projet. Je me suis officiellement installé au 1er janvier 2015 avec une période de parrainage entre septembre et décembre 2014 où on a été tous les deux sur la ferme pour passer le relais.

Henri : Quand on s’est rencontré, il voulait s’installer, je voulais transmettre, c’était déjà une partie du travail de fait. Le fait que Sylvain me soit présenté par Pierre-Yves était une forme de caution. Ça a facilité les premiers pas. On est parti assez vite en confiance.

Y avait-il des doutes à ce moment-là ?

Henri : Il y avait une part de risque.  On se pose des questions : « Est-ce qu’il va chercher quelqu’un d’autre ? Est-ce qu’il a la vocation ? Est-ce qu’il ne va pas me lâcher 3 mois avant ? » On apprend à se connaître, et le potentiel de risque devient limité. Au bout d’un certain temps, on se rend compte qu’on a tous quelque chose à perdre si l’installation ne se fait pas. Ce qui correspond à une forme d’engagement.

La transmission a entraîné la conversion de la ferme, comment ça s’est passé ?

Henri : Sylvain nous a demandé de passer en bio, de faire la conversion des terres en mai 2014. J’étais en MAE phyto, en culture désintensifiée, donc ça ne me gênait pas. Pour pouvoir vendre en bio directement, il fallait que les parcs plein air restent en jachère, 3,5 ha sont restés en jachère à partir du moment où on a arrêté les truies pendant un an. Après il faut être transparent, puisque je laissais 3,5 ha, que j’aurais pu valoriser par des cultures, j’ai demandé à Sylvain de me payer la marge brute que j’aurait faite sur ces cultures-là.

Justement, comment avez-vous abordé l’aspect financier de la transmission ?

Henri : J’ai fait faire une estimation par un centre de gestion. Ce n’était pas facile, car sur la valeur comptable ou la valeur économique, ça ne valait plus rien. Il restait la valeur patrimoniale. Les résultats comptables passés n’avaient aucune valeur pour déterminer un Plan de développement économique, puisque Sylvain mettait en place une nouvelle production. Le Centre de gestion a fait une estimation qui me semblait correcte. J’ai demandé à un ou deux copains ce que pouvait valoir la ferme, sans leur parler de l’estimation. Ca tombait dans une fourchette de 10 000 €. Sylvain n’a pas discuté.

Sylvain :  L’estimation qui a été faite était bien, car les trois valeurs permettaient de se faire une idée, en tout transparence. Je ne voyais pas trop ce que m’apporterait de refaire une estimation à côté. Donc, on est parti là-dessus.

Henri : On était en transparence totale puisque je lui ait donné mon estimation et qu’il m’a fourni son PDE. Compte tenu de la valeur, je savais quel revenu il allait pouvoir dégager. Mon passé de syndicaliste a sûrement aidé ma démarche. On a vu sur la commune des jeunes payer leur installation le prix fort et 5 ans après il n’y avait plus personne. On ne fait pas ça pour ça non plus.

Les installations en porc bio ne sont pas nombreuses. Comment les banques réagissent à un tel projet ?

Sylvain : Pendant toute l’année 2014, j’ai affiné le projet, le chiffrage, les démarches avec les banques. Au départ, je me suis fait accompagné par Bio Direct pour bien cerner les débouchés. Au niveaux des banques ou des chambres d’agriculture, ils n’ont pas de recul sur le porc bio. Les deux tiers des banques étaient effrayées, mais il y en a une avec qui ça s’est très bien passée et qui m’a suivi à fond. C’est fou de se dire que des projets à 400 truies, 500 000 litres de lait avec une unité de méthanisation ça passe tout seul, mais que 50 truies en bio sur 30 ha ça ne passe pas.

Concrètement, comment s’est passée la reprise ?

Sylvain : Le fait qu’Henri ait entamé la conversion, ça m’a permis de vendre mes céréales en C2 dès 2015, ce qui était confortable. Au niveau des parcs, ça m’a permis de commercialiser directement en bio, sachant que j’ai repris l’élevage sans cheptel, j’ai redémarré de zéro.

Henri :  J’ai poussé un peu car je ne voyais pas l’intérêt qu’il avait à reprendre le cheptel. Ca fait plus de 30 ans qu’on fait du porc ici, il y a eu des problèmes sanitaires… C’était l’occasion de faire un vide sanitaire, de tout nettoyer pour repartir sur de bonnes bases.

Ça n’a pas été compliqué de remonter un cheptel ?

Sylvain : Henri a racheté des cochettes pendant le parrainage, puis il me les a revendues ensuite pour gagner du temps. Ca faisait une première mise base bas, en mars 2015 et une première vente en septembre 2015. Ca faisait 1 an sans vente hormis les céréales. Il a fallu bien anticiper cette période niveau trésorerie, c’est ça qui faisait aussi peur aux banques. L’aliment, ils en mangent et ça ne rentre pas de l’autre côté.

Henri : En même temps, si on avait gardé l’élevage et vendu en standard pendant les 6 premiers mois, ça aurait été pire.  Il n’a rien gagné, mais au moins il n’a rien perdu.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Sylvain : Aujourd’hui, j’ai 55 truies, avec l’objectif de vendre 900 porcs par an quand on sera en année complète. Tout part à 99% en circuit long via Bio Direct et je commence un tout petit peu de vente directe. Un prestataire vient chercher les bêtes pour les emmener à l’abattoir et je récupère la marchandise une fois finie. Ca me permet de  ne pas y passer trop de temps. Les gens étaient demandeurs, moi ça m’intéresserait de le faire, mais les journées ne font que 24h. Avec l’élevage et les cultures tout seul, ça passe, mais il ne faut pas charger plus.

Vous pourriez créer de l’emploi à terme sur la ferme ?

Sylvain : Ici, la place contraint l’extension du cheptel, donc si je veux créer de l’emploi, ce sera en développant la vente directe. La vente directe ça démarre bien mais doucement, donc il ne faut pas brûler les étapes. Comme il n’y avait pas de quoi stocker les céréales sur la ferme, j’ai acheté tout mon aliment à l’extérieur et j’ai vendu mes céréales en 2015. Par contre, j’ai en projet de stocker les céréales à la ferme pour l’alimentation des cochons. Dans la logique, l’idée c’est de garder sur la ferme ce que j’y produis. Je vais reprendre 3-4 ha, et j’arriverai avec ça dans les bonnes années à produire 50% de l’aliment à la ferme. Ca reste le point faible de ne pas pouvoir être autonome.

Justement, on sait que la terre attire la convoitise, cela a-t-il posé des problèmes dans votre cas ?

Sylvain : lors de  mon installation, il y avait 7 hectares qui ont été un peu difficiles à reprendre. Si je n’avais pas eu  ces 7 ha, je ne m’installais pas.

Henri :  La moitié des terres étaient en location. Quand j’ai vu que Sylvain était une piste sérieuse, un an et demi avant son installation, je suis allé voir tous les propriétaires, en leur disant : « Il y a un projet d’installation en porc bio, est-ce que vous suivez ?» Heureusement que je l’ai fait car il y a eu des sollicitations. Pour moi, ce genre de démarche ça fait partie des devoirs du cédant. Globalement, Transmettre quand on n’est pas propriétaire de l’ensemble des terres ça peut devenir compliqué. Par exemple, si on n’est pas dans de bonnes relations avec ses propriétaires et qu’on n’anticipe pas, la solidarité peut être limitée et si d’autres peuvent récupérer la terre, ils le feront. Pas tous, mais c’est une réalité.

Le soutien d’Henri a-t-il été important au cours de la transmission ?

Sylvain : Le parrainage, c’était indispensable. Je ne me voyais pas arriver là le 1er janvier et me dire : « Bon ça y’est, c’est moi le chef ». Pour se mettre au courant du voisinage, de la CUMA, de tout l’environnement, de l’exploitation en elle-même, c’était très utile. Quand on ne connaît pas l’exploitation, qu’on ne reprend pas après les parents, c’est un situation qui est un peu inconnue. C’est aux cédants aussi de passer le relais, de présenter le repreneur à son réseau de relations. La ferme je l’avais visitée plusieurs fois mais un réseau de relations, ça ne se fait pas comme ça. Et puis, on n’a pas eu le temps de sa battre en 4 mois…(Rires).

Henri. Je ne pense pas avoir été trop envahissant. Dans ma tête, c’était fini. Le fait de liquider l’élevage, j’ai trouvé ça bien personnellement. J’ai transmis un site, mais je n’ai pas transmis un élevage. Symboliquement, ma production de porc était finie et la sienne commençait. Ca m’a aidé à couper, car je n’avais plus de lien avec les animaux. La crise porcine a fait que j’étais motivé à partir.

Au final, le projet est-il fidèle à ce que vous aviez envisagé ?

Sylvain : Globalement, c’est conforme à mes attentes. Pour une personne seule, ça tourne bien. Au bout d’un an, j’étais en avance sur le PDE et je me prélevais 800€ par mois. Le volume d’heures est important, mais je ne viens pas en reculant. Le week-end, je lâche. Je travaille 2 h le matin, je fais un tour le soir et je ne mets pas de réveil. Je prends un remplaçant occasionnellement. La première année, c’était compliqué de dégager du temps, mais là j’arrive à prendre des congés, je vais partir 5 jours en avril et 1 semaine en août. Il faut aussi savoir relever la tête de temps en temps. Et puis, avoir une bonne conjoncture pour démarrer, c’était important.

C’est quoi la clé d’une transmission réussie ?

Sylvain : C’est indispensable d’avoir un cédant motivé pour installer un jeune. Quand on parle d’installation, au niveau des jeunes on est bien aidé, financièrement et en terme d’accompagnement. Je pense qu’il y a un gros travail pour motiver, aider les cédants, leur donner envie d’installer quelqu’un.

 

Témoignage recueilli par Antoine Besnard et initialement paru dans Symbiose de mai 2016, magazine édité par le réseau GAB-FRAB Bretagne.