Régis Durand et Benjamin Frézel – Polyculture élevage – Morbihan

En 2020-2021, SymBIOse, le magazine des agriculteurs et agricultrices bio de Bretagne, a proposé une série de portraits consacrée à la transmission, enjeu majeur des années à venir. Le témoignage de Régis Durand et Benjamin Frézel constitue le troisième volet de cette série. En 2019, ils ont repris une ferme laitière conventionnelle qu’ils ont complètement réadaptée pour mettre en place un système polyculture-élevage en bio.

Pouvez-vous nous faire une photographie de la ferme, qui est très diversifiée ?

Régis. On travaille sur 75 ha de SAU, plus 10 ha de bois valorisés en pâturage pour les bovins et en parcours pour les porcs. La base du système, c’est de produire des cultures pour l’alimentation humaine. Sur les 75 ha, on fait à peu près 17 espèces différentes sur 50 ha de cultures, qu’il s’agisse de céréales panifiables (blé, seigle, sarrasin…), orge brassicole, légumineuses (lentille, pois chiche…), oléagineux (colza, chanvre), pommes de terre, jus de pomme. L’objectif est de tout valoriser en direct. Les trois élevages de la ferme sont complémentaires des productions végétales, dans le sens où on les a choisis pour valoriser les co-produits des productions végétales.

Les ruminants vont pâturer les prairies, les cochons sont des recycleurs et vont valoriser les déchets de céréales, pommes de terre, son, etc., tandis que les poules, qu’on fait pâturer, vont consommer une partie des céréales produites. On a calculé le nombre d’animaux qu’on pouvait élever sur la ferme en fonction de la nourriture disponible.

Quelques données

Surface : 75 hectares + 10 ha de vois valorisés en pâturage et parcours

Cultures : 17 espèces ; céréales panifiables (blé, seigle, sarrasin…), orge brassicole, légumineuses (lentilles, pois chiches…), oléagineux (colza, chanvre…), pommes de terres

Élevage : bovin, porcin, avicole

Main d’œuvre : 2 associés, 3 salariés à temps partiel, 2 apprentis

Comment est né ce projet ?

Benjamin. On s’est rencontré en 2014 avec Régis. On a eu tout un processus de rencontres et d’échanges avec d’autres personnes qui avaient des projets d’installations en milieu rural, pas seulement agricoles. Pendant 4 ans, on a mené un collectif ; on a été jusqu’à 8 à vouloir s’installer ensemble avec une partie accueil et une partie agricole. Pour des raisons humaines, géographiques et temporelles, on a fini par s’installer tous les deux avec Régis. A un moment, être porteur de projet, c’est fatigant, on avait envie d’y aller.

Comment avez vous-trouvé la ferme ?

Benjamin. On a passé 2 ans au taquet sur le RDI, le Bon Coin, les agences immobilières. On avait fait un cahier des charges qui n’était pas vraiment exigeant. On cherchait 80 ha groupés, avec des terres labourables, car on avait en projet de faire des grandes cultures. On savait qu’on allait reprendre une ferme laitière. On ne visitait quasiment que ça. Donc, on savait qu’on allait devoir la réadapter à nos besoins.

Régis. On a trouvé la ferme en juin 2017, suite à une petite annonce qu’on avait passée dans Terra. Deux-trois mois après avoir visité la ferme, on s’est installé dans le secteur. Le cédant nous a autorisé à mettre un mobile-home sur la ferme, ce qui nous a permis d’avoir un bureau sur place. Pendant près d’un an et demi avant l’installation, on a été présent sur la ferme, on pouvait y recevoir nos rendez-vous, s’imprégner des lieux. On a vraiment préparé notre installation sur le terrain. Avec le cédant, on a commencé à travailler sur la ferme. On l’a beaucoup aidé durant toute cette période. On s’est installé le 1er janvier 2019.

Etapes clés

2014 : rencontre entre Régis et Benjamin

2017 : ferme trouvée grâce à une petite annonce

2017-2019 : présence sur la ferme et préparation de l’installation

2019 : installation officielle

La ferme était une ferme laitière. Il fallait donc changer des choses pour la réadapter à votre projet.

Benjamin. On se préparait au fait de devoir réadapter une ferme à notre projet. Paradoxalement, on est peut être passé à côté d’opportunités parce qu’on s’était mis en tête qu’on reprendrait une ferme laitière. Mais on pensait que ça serait plutôt un système laitier en fin de vie. Quand on a visité ici, ce n’était pas évident. Il y avait un robot de traite, une stabulation sur caillebotis intégral, un troupeau avec une génétique poussée, un gros télescopique. Mais c’était une ferme avec 75 ha de pâturage accessible, dont 40 desservis par un seul chemin…

C’était une ferme laitière idéale en fait…

Benjamin. C’était un drôle de système, un hybride entre un système alternatif basé sur l’herbe et un truc très intensif, avec un robot de traite, une grosse stabulation, une grosse génétique. C’était hors des clivages.

Régis. On a un point commun avec notre cédant, c’est qu’on ne fait pas les choses comme les autres. C’était un des trucs qui lui plaisait. Il trouvait que dans notre façon d’appréhender l’agriculture, il y avait plus de continuité avec son système, que quelqu’un qui aurait repris son atelier laitier dans un système conventionnel classique. C’était étrange. Au départ, on s’est quand même beaucoup questionnés sur le fait d’arrêter la production laitière sur une ferme parfaitement adaptée pour continuer à faire du lait.

Robot, stabulation, ça faisait un investissement important, non ?

Benjamin. Un des avantages, qu’on a vite vu, c’était qu’un robot de traite c’est plus réversible qu’une salle de traite dernier cri. Un robot de traite a une valeur résiduelle, c’est démontable, ça se revend. Une salle de traite, une fois démontée, ça ne vaut rien. La stabulation, on s’est bien creusé la tête pour voir comment on pourrait la reconfigurer pour notre utilisation. Il faut imaginer un bâtiment dans lequel les vaches stationnaient comme des cochons, sur des caillebotis, au-dessus d’une fosse de 2,5 m. C’était un bâtiment en béton préfabriqué, âgé de 20 ans. Donc du costaud. On a démonté les caillebotis, les logettes, cassé les murs de la fosse, décaissé devant le bâtiment pour faire un accès au niveau du fond de la fosse. On a gagné 2,5 m de hauteur. Au final, c’est un bâtiment beaucoup plus fonctionnel qu’une stabulation classique avec des poteaux partout et peu de hauteur.

Régis. C’est un bâtiment avec de la hauteur et c’est un vrai plus pour les céréales. Ca va nous permettre d’avoir de la place pour nos projets futurs d’installation d’unités de tri, stockage, séchage, transformation, etc.

Comment le cédant a accepté le démantèlement de sa ferme ?

Régis. Chose rare, il a très rapidement accepté l’idée de discuter du démantèlement de son atelier laitier. Il a surtout accepté qu’on ne rachète pas ce dont on n’avait pas besoin. Même s’il avait des exigences de prix et que nous avons fait le boulot avec Benjamin de démonter et revendre tout le matériel, c’est incomparable. Si jamais, il n’avait pas fait ça, je ne sais pas comment on aurait pu financer notre projet, en achetant tout le matériel, puis en le revendant. Ça aurait ajouté de la complexité en termes de financement, de fiscalité, et de risque pour nous…

Benjamin. Il a fait le calcul de tout et il a dit : « Ce que vous ne reprenez pas, il faut que ça parte à ce prix là, ou alors vous rachetez plus cher le reste, mais le total, je veux que ça fasse ça ». Et le total, c’était un million, parce que l’agence immobilière avait dit que ça valait un million. C’est bizarre, on a visité plein de fermes qui valaient un million ; c’est un chiffre magique. On a eu un peu de mal à arriver à ce chiffre, mais au final on n’était pas si loin.

Vous avez racheté l’ensemble de la ferme ?

Benjamin. Ça ne nous intéressait pas d’être propriétaires de la ferme. On a très tôt sollicité Terre de liens pour intégrer leurs critères dans notre recherche de ferme. Ils ont acheté l’ensemble du bâti et des terres. De notre côté, nous avons emprunté 600 000 € pour acheter du matériel, les cheptels, etc.

Comment avez-vous jonglé entre la mise en place de vos ateliers et la réadaptation de la ferme ?

Benjamin. Comme on était sur place avant l’installation, on a beaucoup appréhendé la ferme en bossant avec notre cédant et en nous occupant des vaches. A côté, on consacrait un mi-temps à la préparation du projet : banque, Safer, Terre de liens, etc.

Régis. C’était compliqué de mettre en place des choses, parce qu’il continuait à produire. Le point important, c’est qu’il a accepté de passer en bio en 2018. Il a commencé la conversion en mai 2018 sur les terres, pas sur le troupeau parce qu’il savait qu’on en ferait rien. Ça nous a fait gagner un an et ça nous a permis d’avoir nos animaux directement en bio, car il n’ y a pas de limite d’incorporation d’alimentation C2 autoproduites dans la ration. Il a trouvé un boulot deux mois avant qu’on s’installe officiellement, du coup, on a été salarié de la ferme pendant deux mois.

Benjamin. On a passé 3 mois au début de notre installation à gérer des vaches. Ça a été assez fatigant, et c’est devenu une source de tension, parce qu’un moment, il fallait qu’on se consacre à 100% à notre ferme. Ça fait qu’aujourd’hui on est fâché avec notre cédant. Il a été arrangeant sur certains points, mais sur d’autres, il cherchait toujours à gagner plus. On a fini par vendre ses vaches en lot là où il aurait voulu qu’on continue à les élever pour qu’il en tire le meilleur prix.

Quel regard portez-vous sur la réadaptation de cette ferme après reprise ?

Régis. La première année, la production était quasiment secondaire. On a énormément nettoyé, rangé, adapté… 50 % de notre énergie, c’était des travaux pour réadapter la ferme. Et beaucoup de travail administratif, autant sur la gestion de la ferme que sur le suivi de chantier. Là, on arrive à un tournant. On commence à avoir des choses à vendre, on sent que ça décolle et donc la charge de travail s’en ressent. Depuis le début, on a fait le pari d’embaucher pour lancer le projet. L’argent qu’on gagne nous sert à financer de la main d’œuvre. Avec tout à créer, on savait qu’on aurait besoin de main d’œuvre. On a trois salariés, à temps partiel, deux apprentis et des wwoofers. L’accueil de wwoofers et de stagiaires nous prend du temps, mais ça fait partie de notre projet de permettre à ceux que ça intéresse de découvrir le métier de paysan. Au final, c’est aussi une satisfaction car on voulait une ferme vivante, et ça y contribue.

Antoine Besnard, rédacteur en chef Symbiose

Photos : Matthieu Chanel