Quentin Guillou – Légumes – Côtes d’Armor

En 2021-2022, SymBIOse, le magazine des agriculteurs et agricultrices bio de Bretagne, a proposé une série de portraits consacrée à l’emploi et au travail sur les fermes bio. Le portrait de Quentin Guillou partagé ici en constitue le deuxième volet. Parti sur un système très diversifié, Quentin a finalement recentré son projet sur les légumes avec une gamme resserrée. Il a embauché et adapté son outil de production pour assurer la rentabilité et de la ferme et la vivabilité.

10h30. Les rayons de soleil percent le bardage ajouré du hangar. Le café fume dans les tasses. Pause. Quentin discute avec Thibault et David, ses deux salariés. Moment important de la journée, il donne ses directives et planifie les tâches à venir. Missions du jour : finir de ramasser les oignons et ranger des bâches. La ferme se pelotonne contre l’automne naissant. « Sans employé, la ferme ne tourne pas », glisse Quentin.

Une installation progressive

En 2014, la maison familiale et 8 hectares de friches vont être vendus. Il s’y installe. Musicien, intermittent du spectacle, diplômé d’un BTS GPN (Gestion protection de la na-ture), Quentin enquille les formations avec le GAB et lance progressivement son activité en 2018. Double-actif, il prend d’abord le statut de cotisant solidaire. Il défriche, terrasse, puis il créé des chemins, monte des tunnels. Rapidement, il se rend compte que travailler seul, très peu pour lui. Il voit vite ses limites. « J’avais en tête un système très diversifié : un demi hectare de maraîchage, un verger, des animaux… Je voyais ça comme un mode de vie. Sauf qu’à trop diversifier, on s’éparpille et c’est peu rentable », constate Quentin.

Il décide de se spécialiser en légumes, met plus de surfaces en culture et embauche. Surtout, il resserre sa gamme. « Quand j’étais cotisant solidaire, je faisais des paniers. Je mettais ce que je voulais dedans. Forcément, ça partait ! En commençant à bosser avec Biocoop, je me suis rendu compte de la demande. Avant, je faisais des topinambours, des navets hors période… Tu passes du temps, tu ne les vends pas… A côté de ça, je n’avais pas de carottes bottes. J’ai décidé de me concentrer sur les produits à forte demande ». Gamme « ratatouille » en été, gamme « pot au feu » en hiver, qu’il agrémente de produits d’appel : asperges, fraises, pommes de terre nouvelles en primeur, et patates douces en fin d’été.

Quentin évolue sur une zone littorale, donc touristique. Il en profite. Entre 2019 et 2020, il prévoit de doubler son chiffre d’affaires. Pour y arriver, il double la surface mise en culture. Et il embauche. Des gens du coin qu’il trouve par son réseau. David est un ancien maraîcher à son compte, Thibault entame sa vie professionnelle, « mais il croche bien dedans », épaulé par julien, qui a plusieurs années d’expérience. Autour de ce noyau dur viennent se greffer des saisonniers et des coups de mains ponctuels. « C’est important pour moi d’avoir des gens du secteur. Si je pouvais, je n’embaucherais que des gens de la commune ».

Techniquement, Quentin s’améliore. Ses binages sont plus précis, il automatise l’irrigation, pose 500 mètres de tuyaux et installe un enrouleur, une pompe et des vannes dans ses parcelles et tunnels. « Avant, je ne prenais pas le temps d’irriguer. J’ai revu ça. On n’est pas à l’électro vanne, mais ça viendra un jour ». Et le résultat est là. « J’ai deux fois mieux réussi mes légumes. Au lieu de doubler, j’ai quadruplé mon chiffre d’affaires. Je me suis rendu compte que je n’étais pas assez investi pour réussir mes cultures. Embaucher m’a permis d’avoir du temps pour ça », analyse Quentin.

On peut dire que Quentin est du genre carré. Pour atteindre ses objectifs, il a mis en place une organisation au cordeau. Il assure quatre missions : la gestion de la ferme, les travaux mécanisés aux champs, le tri et le conditionnement, et enfin les livraisons. « Cette organisation me permet de m’assurer de la qualité des produits livrés. Pour les livraisons, j’avais toujours les mêmes interlocuteurs, lorsque j’avais un soucis, je pouvais l’expliquer. Maintenant que ça roule, j’ai délégué des livraisons », explique Quentin. Ses salariés assurent les récoltes, un peu de conditionnement et surtout les travaux aux champs : plantation, désherbage, palissage… David gère également tous les arrosages. Isis, quant à elle, s’occupe de la compta, des factures, des réceptions de commandes par mails, et de la vente au magasin. « Un poste important qu’il ne faut pas négliger ».

 

Etapes clés

2014 : emménagement dans la maison familiale avec 8 hectares de terrain

2018 : installation, d’abord en double-actif

2019-2020 : multiplication par 4 du chiffre d’affaires de la ferme

La semaine de 35 heures

Les livraisons rythment la semaine. Lundi et jeudi, c’est récolte le matin et livraison l’après-midi pour Biocoop ; préparation des paniers le mercredi. Depuis l’été dernier, Quentin a installé un magasin dans le bourg de Pleubian, ouvert les mardi, vendredi et samedi, ce qui a modifié l’organisation initiale. « Mardi et vendredi on est en récolte jusqu’à 10 h et on va blinder le magasin, surtout en légumes feuille », détaille Quentin.

Pour autant, pas question pour lui de faire des journées à rallonge. Lui comme ses salariés travaillent 35 h par semaine, et passent à 40 heures en saison. « Si on fait une demi-heure de plus une journée, on travaille une demi-heure de moins la journée suivante. Samedi et dimanche, c’est repos toute l’année », explique Quentin. Il a embauché une salariée pour gérer le magasin en saison et c’est sa compagne qui le gère le reste de l’année. Il peut déroger à cette règle de week-end chômé en cas de maladie sur des plants ou de surplus de production à récolter. « Mais c’est quelques heures. Pas plus ! Si on n’a pas eu le temps de faire une tâche le vendredi, et bien on la fera le lundi. Il faut arrêter de vouloir absolument être à jour tout le temps et se crever à la tâche. Avoir mes week-ends, c’était important pour moi pour continuer à faire de la musique. Là, je vais arrêter la musique parce que je viens d’avoir un bébé, mais je vais garder mes week-ends », sourit le maraîcher.

« Envoyer du steak »

Dans sa rigueur, Quentin garde de la souplesse. Son organisation est mouvante, et il sait que les choses vont évoluer. De 3 UTH sur 3 hectares il aimerait passer à 5 UTH sur 5 hectares. Il prévoit de doubler sa surface sous tunnel et en plein champ, et d’investir dans du stockage. « J’ai envie d’envoyer du steak comme on dit et de voir ce que ça peut donner. Je souhaite doubler mon chiffre d’affaires d’ici 3 ans. Pour y arriver, il y a deux moyens : embaucher plus et augmenter le chiffre d’affaires par UTH ». Les calculs fusent dans sa tête. « J’essaye de payer plus que le SMIC, en fonction des responsabilités de chacun. A terme, je veux mieux rémunérer mes salariés, car on fait un métier exigeant. Je compte au moins 40 000 € de CA/UTH salarié. Je considère que je dois faire 60 000 € de chiffre d’affaires sur mon poste. On a fait 100 000 € la première année à 2 UTH ; là, on va faire 150 000 € à 3 UTH. L’enjeu c’est d’arriver à 300 000 € de chiffre d’affaires avec 5 UTH. J’aimerais pouvoir monter à 60 000 € de CA/UTH salarié », avoue Quentin. « Mais pour ça il va falloir plus se mécaniser ». La main d’œuvre c’est sa première charge, ensuite viennent l’achat de plants, la mécanisation, puis l’irrigation.

Pour arriver à ce résultat, Quentin va devoir déléguer, chose qu’il estime avoir du mal à faire, notamment sur la partie mécanique. « Pour en avoir fait, quand je vois tout ce qu’on peut faire comme conneries avec les tracteurs… La ferme reste une jeune ferme. Je commence à maîtriser mes tracteurs, mes outils. Je suis efficace, je vais vite. Si je délègue, ça va prendre 2 fois le temps, il va y avoir des erreurs de faites. Pendant un an, ça ne va pas être rentable », remarque Quentin, qui va essayer de déléguer progressivement. « En développant la ferme, il y a de nouvelles tâches qui vont arriver. Je prévois de les déléguer dès le début pour ne pas me les accaparer. Quand tu apprends ensemble à faire les choses, le salarié sait aussi bien faire que toi ».

Quelques données

Surface : 8 hectares dont 3 mis en cultured

Emploi : 3,5 UTH

Vente : circuit court (magasins, paniers)

30 espèces cultivées

Il est dans un entre deux où il ne délègue pas tout mais laisse ses salariés prendre des décisions. « Je suis plus exigent sur la qualité du travail que sur le rendement », glisse Quentin. Il préfère même embaucher un peu plus sur 2 ou 3 semaines que de mettre la pression sur ses équipes. « On a une super ambiance de travail et c‘est très important pour moi de la conserver ». En revanche, il sensibilise ses salariés à la nécessaire rentabilité de leur travail. Là est son exigence. « Par exemple, le haricot vert, c’est une culture extrêmement exigeante en main d’œuvre. On vise 8 kg/heure en récolte. On a un choix variétal et une organisation qui fait qu’on est plutôt à 10, mais ça arrive que sur certaines séries on descende à moins de 5 kg/heure, ça ne vaut pas le coût. Trois personnes par heure, ça me coûte environ 50 €. Je fais vite mon calcul. Est-ce que j’ai 50 € de came, sachant qu’on a aussi passé du temps de travail avec des charges sur la culture en amont. Je préfère parfois qu’on se mette à jour sur des cultures où il y a plus d’enjeux financiers. Ça ne m’arrive pas souvent de sacrifier une culture mais je peux. Les gars ont du mal avec ça. Pour moi, l’idée c’est de pouvoir travailler à terme sur mes coûts de revient », relate Quentin. « Mon conseiller Charles Souillot m’aide a avoir ce genre de raisonnement économique qui sont primordiaux dès lors qu’on embauche du monde ».

Confiance = implication

Quentin marche à la confiance, estime qu’il ne doit pas être sur le dos de ses salariés. « Plus on leur fait confiance, plus ils s’impliquent », constate-t-il. Lui fixe les priorités et liste les tâches à faire, eux s’organisent pour se répartir le travail. Ça peut se faire par affinité ou par envie. En cas de nécessité, Quentin attribue certains travaux. En bout de chaîne, il voit bien ce qui sort des champs et arrive au conditionnement. « Par exemple, il arrive aussi qu’un de mes gars me remonte qu’un saisonnier a ramassé des patates et des tomates avec les mêmes gants alors qu’il y avait du mildiou sur les patates. Là, j’interviens, j’explique tranquillement. Je n’ai pas envie de faire le flic ».

Tout est imbriqué. Le salariat, l’augmentation de la production, l’ajustement de l’outil de travail. Quentin a dans l’idée de mieux lisser la production sur l’année et de pouvoir pérenniser la main d’œuvre saisonnière. Et il ne se projette pas à plus de 2-3 ans, car il sait que d’ici là sa vision des choses aura sûrement changé. Et lui aussi.

Antoine Besnard, rédacteur en chef Symbiose

Photos : Matthieu Chanel