Françoise Louapre – Volailles de chair – Ille-et-Vilaine

Françoise s’est lancée dans un pari fou en 2010, devenir agricultrice bio après une vie bien rangée de cadre sup’. Elle a monté sa ferme, est passée de 5 à 20 hectares pour élever ses chers et tendres poulets. Elle écoule 100% de sa production en direct mais pointe la rentabilité économique d’une filière fragile qui doit encore trouver des solutions techniques et assumer ses prix de vente. Pour elle, « il n’y a pas de pétard », si on veut installer des jeunes, il faut rendre la filière attractive.

françoise louapre Françoise Louapre sur sa ferme - crédit FRAB Bretagne

En 2010, vous vous êtes installée après une première vie professionnelle. Qu’est ce qui a guidé ce choix ?

J’en avais ras le bol du système de croissance des entreprises, ce besoin de croissance continue qui met la société à cran. J’aime bien travailler dehors. Le fait de vendre mes produits me plaisait beaucoup, le fait que je sois très gourmande, et que j’aime les produits de très bonne qualité, ça rentre en ligne de compte aussi. Par contre, l’agriculture, c’est vrai que je n’y connaissais rien du tout. Je n’étais jamais monté sur un tracteur…j’ai tout appris, et je continue à apprendre.

Comment avez-vous envisagé cette transition ?

J’étais directrice administrative et financière, je m’occupais de la gestion de 18 Mc Do en trésorerie, finances, gestion prévisionnelle, ressources humaines, à Rennes. Mais j’aurais pu le faire n’importe où ailleurs et dans n’importe quel autre secteur. J’ai quitté mon boulot et j’ai fait un an de formation BPREA, au Rheu. J’ai découvert l’agriculture, j’en ai profité pour monter mon projet d’installation, et je me suis installée directement à la sortie du BPREA. Je ne voulais pas perdre de temps. Je savais faire un budget prévisionnel, monter un dossier de financement, c’est ce que je faisais tous les jours. Donc tout ça, je l’ai fait très vite. C’est souvent ce qui pêche chez les jeunes.

Aujourd’hui, avec un peu recul, quel regard portez-vous sur ces premières années ?

La ferme a six ans, mais j’ai bien mis cinq ans pour trouver la bonne organisation, faire les choses efficacement. Par exemple, faire les aliments à la ferme… J’arrive depuis 6 mois à faire un bon aliment. Alors que si j’avais eu d’autres expériences avant ou des parents agriculteurs, je l’aurais fait dès le début… J’ai aussi dû tout créer, je n’ai pas de bâtiment de stockage par exemple. Quand je dois faire une formulation, il faut que je me débrouille pour avoir tout à portée du camion broyeur, et à l’abri de la pluie. Le Système D, ça va un peu, mais à la longue, c’est fatigant. J’ai eu le permis de construire pour un hangar, je dois finaliser mon plan de financement et obtenir mon prêt pour mener à bien ce projet. Ça me permettra aussi de m’organiser un peu mieux au niveau de l’équilibre alimentaire.

Ça veut dire que vous n’étiez pas assez préparée quand vous vous êtes installée ?

Je n’avais pas une vision globale de la ferme. Je me voyais avec mes poulets, les élever, les vendre. Sauf que nourrir des poulets, ça coûte cher, et que pour diminuer le coût, il faut tendre vers l’autonomie alimentaire, il n’y a pas de pétard. J’ai fait des stages dans des fermes, mais dans des fermes qui ne fonctionnaient pas. En poulet bio, il n’y a pas des masses d’éleveurs. D’ailleurs, les stagiaires qui viennent chez moi, je leur montre tous mes comptes, tous mes achats, tout… Et pour l’instant, il n’y en a pas à s’installer, parce qu’ils voient qu’économiquement, c’est très dur.

Ce constat pose donc la question de l’efficacité économique de cette filière…

Au niveau gestion, j’avais tout en main pour maîtriser l’outil. Maintenant, c’est au niveau rentabilité qu’il y a un souci. Par exemple, au niveau du temps de travail, la dernière fois que je l’ai calculé, j’étais à 80 h par semaine. Maintenant, j’ai une salariée, à 30 h… J’ai fait six bilans comptables, le premier était positif, mais c’était dû à l’apport de trésorerie de la DJA, les quatre suivants étaient négatifs, entre 7 000€ et 12 000 € de pertes. Cette année, pour la première fois, je suis à l’équilibre. Je ne me paye pas et ce n’est pas normal. Je ne me plains pas, mais cette situation démontre qu’on ne peut pas installer des jeunes. Si j’ai pu faire -12 000 €, c’est parce que j’avais 12 000 € de côté. J’ai des dettes fournisseurs qui se sont accumulées, etc. aujourd’hui, ça va mieux. Mais ce n’est pas possible d’installer un jeune en lui disant, tu ne vas rien gagner, tu vas même perdre de l’argent pendant 5 ans, si tu travailles bien.

Dans ce cas, quelle est la solution pour vivre de cette production ?

La clé, c’est le prix. Le problème de base c’est la marge, car le coût de production du poulet est élevé. Tu peux faire du poulet bio à 80 jours, mais j’ai choisi de faire du poulet qui court, en plein air, abattu entre 120 et 150 jours. Le coût alimentaire, n’est pas le même, mais mes bêtes sont dehors, en bonne santé, et c’est cette méthode de production qui fait aussi venir la clientèle. Les gens viennent d’abord pour la qualité du produit et le goût, ce qui permet de les sensibiliser à la bio, car ce n’est pas le premier critère d’achat pour tous.

Ça met du temps. La première année au marché de Bruz, les gens ne me regardaient pas. Je vendais un ou deux poulets par marché. C’est un marché avec une clientèle qui a des habitudes fortes et sur lequel on est sept volaillers, donc il y a de la concurrence. Les clients achètent leur poulet au même endroit depuis 20 ans, ils ne changent pas leurs habitudes comme ça. Là, ça y est, j’en ai capté énormément.

A quel prix vendez-vous vos poulets?

Je vends mes poulets 11,20 € le kilo, et j’estime que ce n’est pas assez cher. Mon souci, c’est comment installer des jeunes dans le poulet bio. Il ne faut pas les faire rêver ; ou alors il faut les faire s’installer sur du poulet de 80 jours et ils fournissent la GMS. S’ils veulent faire des poulets de qualité qui court longtemps, il faut fixer des prix très hauts dès le départ.

Est-ce qu’une filière volailles de chair mieux structurée et organisée pourrait être une solution ?

En bio, la viande, si tu dois la vendre au prix qui rémunère l’agriculteur, ça a un prix. En circuit long, ça veut dire rogner sur le prix. Quand on m’appelle pour me demander si je fais un prix si on prend 10 poulets, je dis que ne fais pas de prix. Par exemple, quand ma belle-mère ramène 4 pains au chocolat au prix de trois, soit le boulanger vous vole tous les autres jours de l’année, soit il ne gagne pas sa croûte. Moi, je ne raisonne pas comme ça. Organiser ça en filière, c’est peut-être possible. Par exemple sur le lapin bio, ils ont réussi à obtenir des prix : le lapin bio est aux alentours de 14€/kilo. Mais ça veut dire vendu en boucherie à 25€, donc ça fait un lapin à 40€. Je ne sais pas si c’est une solution…

Aujourd’hui, votre levier premier, c’est donc l’alimentation et la production d’aliments à la ferme ?

Je produis environ 35 % d’aliment à la ferme : environ 20 tonnes sur les 60 nécessaires. Pour être autonome, il me faudrait en gros 60 ha, mais la terre coûte chère. Et je ne ferais jamais la totalité de mon aliment. Je ne fabriquerai jamais l’aliment démarrage, qui doit être hyper équilibré. Si tu rates l’aliment des poussins, tu traînes pendant longtemps. Pour faire l’aliment démarrage, il faut que tout soit bien conservé, que ce soit très précis sur le dosage des protéines. Autant sur les moyens et les grands, si tu te plantes de 2-3 grammes au kilo, ce n’est pas gênant. Sur les poussins, il faut la juste dose, car ils ne mangent pas beaucoup. Faire l’aliment et produire des céréales ça améliorerait la marge, mais ça entraînerait du travail aussi.

Donc, il n’y a pas de pétard, c’est le prix au kilo qui rémunérera le producteur. Au marché, quand j’augmente mes prix, les clients ne me disent rien. Je leur dis : « c’est ça ou j’arrête ». Je sais ce que c’était avant de travailler peu et d’être bien payée, maintenant, je sais ce que c’est de travailler beaucoup et de ne rien gagner. Je préfère mon travail maintenant, parce qu’il a plus de sens, mais ce n’est pas possible de rester sans dégager de l’argent. D’abord pour moi, mais aussi pour tous les stagiaires qui viennent ici et qui veulent s’installer. Il y en a un qui voulait vraiment le faire, il est même en essai chez un voisin pas loin. Il a refait ses calculs, il m’a redemandé les rations, mais ça ne passe pas. C’est bien, parce qu’il réfléchit vraiment son installation, mais ça pose la question de la rentabilité du poulet bio de bonne qualité.

Y a-t’il des solutions à chercher dans les systèmes diversifiés, qui ont des ateliers secondaires en volailles de chair ?

Il ne faut pas diversifier pour cacher le manque de rentabilité d’un atelier. On a fait une formation avec Agrobio 35, il y a 4 ans, durant laquelle on a fait une analyse financière. Il y avait un couple qui faisait du super poulet et du lait. Ils se sont aperçus que la perte du poulet était noyée dans le résultat des vaches laitières. Elle avait monté l’atelier pour s’occuper sur la ferme. Son mari s’occupait des vaches. Elle a arrêté tout de suite après la formation. Ce genre de situation doit arriver dans pas mal de projet de diversification parce que c’est noyé dans la masse. C’est vrai que c’est super d’être diversifié. Quand un consommateur vient à la ferme, c’est plus vendeur d’avoir du poulet, des légumes, des produits laitiers, etc., que de n’avoir que du poulet. Le souci, c’est quand je vois qu’à côté de moi, des collègues vendent moins cher, je me demande comment ils font.

Comment fixer le bon prix et trouver un prix rémunérateur ?

Le prix ce n’est pas simple. Un poulet conventionnel vendu à la boucherie de Laillé, c’est 14,5 € le kilo, pareil pour les pintades. Les bio eux-mêmes se bloquent sur les prix. On a peur, ou on ne se sent pas légitimes de mettre un prix. Je prends souvent le même exemple : on est 6 à la maison, et je pense qu’entre un poulet et 6 grillades chez le boucher, t’en as au moins pour le même prix. J’avais lu un article dans Symbiose qui disait qu’il ne fallait pas qu’on passe notre vie à se sacrifier pour que les autres puissent bien manger. C’est sûr. On en bave pour un idéal, on n’est pas là pour l’argent et il y en a plein qui arrêtent ou qui s’usent la santé, parce qu’ils ne gagnent pas leur vie, qu’ils ne peuvent pas s’équiper d’un tracteur de plus ou d’une vis pour transporter l’aliment… Et c’est parce qu’ils ne font pas le bon prix pour payer leur travail.

Chez Mc Do, le prix de vente d’un hamburger par rapport au coût de production est multiplié par 7. Le prix du conventionnel ne veut rien dire, donc le prix de la bio paraît déconnecté. J’augmente mes prix généralement en mai, parce que c’est moi qui fait le bilan comptable, et ça me ramène à la réalité. J’augmente aussi en décembre, parce que les gens sont prêts à mettre le prix pour des bons produits à cette période-là. Je suis sûr de mon choix, mais il ne faut pas rater son prix de départ.

On voit que votre situation économique progresse néanmoins d’année en année…

Mon chiffre d’affaires progresse de 10% d’année en année pour la même quantité de poulet. Je les vends plus gros, plus chers, je produis plus de céréales et je fabrique mieux mon aliment. Je travaille sur des cycles longs, donc les choses prennent du temps à se mettre en place, mais j’y arrive progressivement. Si je me goure dans une commande de poussins, la répercussion a lieu 5 mois après, donc je ne peux pas être réactive rapidement.

Quand je me suis installée, il y a six ans, je vendais 8€ le kilo. Aujourd’hui, c’est 11,20 €, ça fait 6 € de plus par poulet. Si tu multiplies par 4000, ça fait 24 000 euros. Et avec ça, j’arrive juste à couvrir mes charges.

Qu’est-ce qui vous motive à continuer dans cette voie ?

Pour moi, le monde s’écroule, mais il reste encore des trucs à sauver. Donc je ne vais pas arrêter au moment où je me sens agricultrice bio pour de bon. Ce qui me ferait arrêter, c’est de ne plus avoir d’argent pour faire tenir ma ferme. L’avantage de la vente directe, c’est que toutes les semaines des gens me complimentent sur mes produits. C’est une super gratification. Mais tu as beau faire des super produits, il n’y a pas un jeune qui veut s’installer. Peut-être que dans 2-3 ans j’arriverais à leur montrer que c’est possible, mais en démarrant avec le bon prix. C’est un vrai défi.

 

Témoignage recueilli par Antoine Besnard et initialement paru dans Symbiose de juin 2016, magazine édité par le réseau GAB-FRAB Bretagne.