Se réapproprier l’amélioration variétale du maïs population par la sélection participative

Publié le : 4 juin 2020

AgroBio Périgord (GAB24) travaille depuis presque vingt ans sur les questions d’autonomie semencière, de sauvegarde de la biodiversité cultivée et de la sélection paysanne. Depuis plusieurs années, la question de l’efficacité de la sélection paysanne taraude les esprits : après de nombreuses années d’expérimentations, nous sommes à la veille d’ajouter une contribution majeure à la validation scientifique (ou non) de la capacité des paysans à améliorer eux-mêmes leurs variétés de maïs population.

AgroBio Périgord (GAB24) travaille depuis presque vingt ans sur les questions d’autonomie semencière, de sauvegarde de la biodiversité cultivée et de la sélection paysanne. L’équipe des salarié-e-s et les paysan-e-s du collectif ont notamment développé une expertise particulière sur le maïs population. Ces savoir-faire et ces connaissances sont en co-évolution permanente et sont nourris par de très nombreuses collaborations passées et présentes avec d’autres collectifs paysans, des technicien-e-s, animateur-trice-s, généticien-ne-s, sociologues, anthropologues, sélectionneur-euse-s indépendant-e-s, cuisinier-e-s…

 

La sélection paysanne, une pratique diversifiée qui va bien au-delà de l’amélioration variétale

Parmi ce vaste travail mené sur les semences paysannes, la sélection paysanne tient une place importante. Les enjeux de la sélection paysanne sont avant tout politiques et traduisent une volonté de (ré)appropriation des connaissances et des savoir-faire sur la génétique végétale ; et la liberté de choisir les caractéristiques variétales qui conviennent au système de production et de valorisation du paysan. Cette sélection paysanne peut prendre des formes variées et elle se définie surtout par la diversité des pratiques qui gravitent autour de cette notion. Certains considèrent que, dès qu’un-e paysan-ne autoproduit une variété diversifiée (appelée population) et libre de droit sur sa ferme, il exerce une sélection paysanne. Mais la plupart du temps, on considère qu’il y a sélection paysanne lorsque l’agriculteur-trice exerce un choix sur les individus de sa population qui constitueront la semence de l’année suivante. C’est la sélection massale récurrente (il existe d’autres formes de sélection paysanne mais elles sont bien moins répandues). La sélection paysanne, cette pratique du choix de certains individus au champ, est différente pour chaque agriculteur-trice ; avec des objectifs de sélection plus ou moins formalisés, des critères de sélection plus ou moins définis et justifiés. Elle peut être très structurée et pragmatique, intellectualisée, simple ou complexe, intuitive, voire ésotérique, elle se fait seul ou en collectif, elle peut même être festive. Différents travaux en sociologie (et de simples discussions entre animateur-trice-s et paysan-e-s) montrent qu’il se joue beaucoup plus que la simple amélioration agronomique de la variété lors de la pratique de la sélection paysanne : c’est un moment de « contact » particulier avec sa culture, d’observation, de « pause » : le-la paysan-e développe souvent un lien affectif pour sa variété.

 

Remise en question de l’efficacité de la sélection paysanne

Bien que la sélection paysanne présente des « externalités positives » (social, agronomie, plaisir, sens donné…), l’objectif reste celui d’améliorer génétiquement les propriétés agronomiques de la variété (rendement, précocité, protéine, tenue de tige, résistance aux maladies, à la sécheresse…). Les premières connaissances et les premiers modèles de sélection développés par AgroBio Périgord sont les fruits d’une compilation de nombreuses informations diverses et variées, d’observations empiriques, de mesures prises sur des plateformes d’expérimentation et de réappropriations et interprétations de différents concepts de génétique. Il s’est construit entre les paysan-e-s et les animateur-trice-s un modèle de connaissances particulier qui se déclinait en une série de « bonnes pratiques » et conseils pratiques de sélection. Dès 2010, des paysans commencent à douter de l’efficacité de ce modèle de sélection : un essai mené de 2011 à 2016, qui consistait à comparer une souche sélectionnée et une seconde non sélectionnée à partir d’une même population d’origine sur 6 ans n’a pas permis de montrer de différence entre les souches, mais les biais expérimentaux étaient nombreux et les répétitions trop faibles : le doute a persisté.

Illustration d’une sélection massale sur le poids de l’épi – Source Robin NOEL – AgroBio Périgord.

 

Des nouveaux modèles de sélection

C’est donc en 2016 et 2017 qu’a été mise en place une vaste expérimentation visant à comparer deux générations différentes, séparées par 4 cycles de sélection, sur 12 variétés de maïs populations ; cette étude était couplée à l’analyse du discours de l’agriculteur sélectionneur et à la mesure de sa pratique de sélection par l’observation des différences entre un échantillon d’individus représentatif de la population avant sélection et les individus sélectionnés parmi cette population. Il a été montré que la sélection pratiquée ne permettait pas d’améliorer les variétés dans le sens des objectifs de l’agriculteur, c’était même principalement l’inverse. Un nouveau modèle de connaissances, encore peu mobilisé à AgroBio Périgord à cette période, a permis d’expliquer ces observations : il s’agit de la génétique quantitative, une discipline scientifique qui fait son essor dans les années 30 et qui se situe à la croisée entre la génétique, les probabilités et les statistiques. Ce modèle a été et est toujours utilisé par les sélectionneurs et les obtenteurs industriels. Il a semblé judicieux de faire usage de cette théorie pour comprendre, interroger et améliorer nos pratiques de sélections paysannes.

 

Vers une validation scientifique de l’efficacité de la sélection paysanne

Ainsi, en collaboration avec de nombreux autres collectifs paysans (ARDEAR du Centre, ADDEAR de la Loire, Ecole d’Ingénieurs de PURPAN et Cultivons la Biodiversité en Poitou-Charentes) dans le cadre du projet CASDAR COVALIENCE, piloté par l’INRAE et l’ITAB, AgroBio Périgord a élaboré, en co-construction avec les paysans, un nouveau modèle de sélection paysanne (basé sur les théories de la génétique quantitative) visant dans un premier lieu à améliorer le rendement des variétés populations de maïs. Huit fermes de Dordogne participent activement à cette expérimentation. Paysans et techniciens du GAB ont effectué des sélections sur 12 variétés populations différentes en 2018 et 2019. L’année 2020 constitue l’étape finale de cette expérimentation par la mesure des « réponses à la sélection », soit le progrès agronomique dû à la sélection. Nous ne pouvons pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer et il faudra attendre 2021 pour connaître les conclusions de cette étude.

Les enjeux de cette expérimentation sont forts car le dispositif expérimental mis en place ne connait pas de précédent en France et nous serons en mesure d’établir (ou pas) une validation scientifique de l’efficacité de la sélection paysanne et de confirmer (ou non) notre capacité de nous réapproprier, collectifs de paysan-e-s et animateur-trice-s technicien-e-s, l’amélioration des espèces végétales cultivées. Les résultats de ce travail pourraient nous conduire à revoir nos pratiques d’accompagnement  en tant que GAB et de sélection pour l’amélioration en tant qu’agriculteur-trice.

                                                                             

 

Protocole simplifié pour évaluer le résultat d’une sélection sur plusieurs cycles à la ferme – Source Robin NOEL – AgroBio Périgord

Pour découvrir les actions de la Maison de la Semence Paysanne et les détails du programme de recherche COVALIENCE :

http://itab.asso.fr/programmes/re-covalience.php

https://maison-de-la-semence-paysanne-dordogne.netlify.app/top/accueil/

http://www.agrobioperigord.fr/produire-bio/biodiversite-cultivee

Article rédigé par : Robin NOEL (AgroBio Périgord)