Produire des petits fruits rouges en agriculture biologique

Publié le : 26 août 2020

Les petits fruits (framboise, cassis, groseille…) bénéficient d’une image très positive auprès des consommateurs : synonymes de retour des beaux jours, de souvenirs d’enfance, appréciés pour leurs qualités gustatives et leur présentation qui invite au « snacking », et recommandés pour leurs caractéristiques nutritionnelles (haute teneur en micro nutriments et antioxydants), etc. Mais ils demeurent un marché de niche : leur achat en frais reste très occasionnel, principalement à cause de leur prix élevé : la consommation de framboises et groseilles était de 0,13 kg/an/ménage, très loin derrière la pomme avec 18 kg consommés, ou même la fraise avec 2,13 kg/an/ménage (TNS Sofres 2008). Cependant, ils sont très demandés sur les marchés en zone de montagne, et appréciés par une clientèle touristique.

La mise en place d’un atelier de petits fruits : intérêts et points de vigilance

INTÉRÊTS

01 > La culture de petits fruits permet de valoriser de petites surfaces. Une exploitation de 5 000 m² de petits fruits peut être viable, avec une main d’œuvre salariée et une commercialisation en vente directe et si l’on en transforme une partie que l’on vend également en circuits courts (mais il faut faire preuve d’originalité pour ses produits car nombreuses sont les propositions faites sur le marché et il y a une forte concurrence pour la simple confiture).

02 > Les petits fruits peuvent également être intéressants comme culture de diversification, en complément du maraîchage (complément de gamme « fruitée », changeant du commun des légumes), ou de la polyculture-élevage, ou encore de l’arboriculture en attendant l’entrée en production d’un verger et le temps de se constituer un réseau commercial. Elle peut également s’envisager pour installer un conjoint ou un enfant sur l’exploitation car elle nécessite peu de surface.

03 > La conduite est relativement peu pénible physiquement comparée au maraîchage par exemple.

04 > Cette culture ne présente pas de verrou technique en bio, mais le choix de la parcelle est très important : les petits fruits ont des exigences pédoclimatiques qui peuvent être des freins à leur implantation en zone de plaine méditerranéenne (sols acides pour les framboisiers, forte chaleur et faible hygrométrie en été préjudiciables sauf en mûres…). La culture sera un échec si l’on ne tient pas compte de ces paramètres.

 

POINTS DE VIGILANCE

01 > La culture des petits fruits est peu mécanisable et demande beaucoup de main d’œuvre, principalement pour la récolte (en framboise, il faut compter environ 400 h / 1 000 m², surface maximale récoltable par 1 personne seule). Il est donc important de bien dimensionner son atelier en fonction de la main d’œuvre disponible sur l’exploitation et de diversifier espèces et variétés afin d’échelonner les récoltes.

02 > L’irrigation est obligatoire. Par aspersion de préférence pour les framboisiers, goutte à goutte pour les autres espèces.

03 > Les principales contraintes résident dans la commercialisation

  • De petites quantités vendues : les petits fruits ayant un coût de production élevé, à cause des charges de main d’œuvre importantes (environ 75 % du coût de production) ils sont vendus à un prix largement plus élevé que celui de la plupart des autres fruits de saison et sont donc souvent achetés en petites quantités par une clientèle peu nombreuse.
  • Une bonne organisation nécessaire : les fruits étant fragiles (conservation des framboises 48h maxi à environ 10°C), les débouchés en frais doivent être rapides et fréquents, ce qui impose de bien s’organiser en amont (présence sur plusieurs marchés en saison, tour-nées de magasins, restaurants…).
  • La transformation incontournable : la récolte étant abondante sur une courte période, il est quasiment impossible de faire l’impasse sur la transformation, ce qui implique d’avoir envisagé cette activité, qu’elle soit réalisée à la ferme, en collectif ou par un tiers. Cette activité est encore plus nécessaire pour groseilles, cassis et mûres, la valorisation en frais étant particulièrement difficile pour ces espèces (la plupart des ateliers diversifiés se limitent à 500 m² pour chacune d’elles).

04 > Des concurrences non négligeables. Des sachets de framboises ou fruits rouges en mélange surgelés, importés par exemple du Chili, sont désormais disponibles en bio à des prix très bas et viennent concurrencer les petits fruits vendus en direct, notamment pour une utilisation dans les préparations culinaires. Des produits transformés importés, même issus du commerce équitable, peuvent être moins chers que des produits artisanaux locaux et enfin, la cueillette de certains petits fruits abondants à l’état sauvage (mûres, framboises et myrtilles en montagne) peut également constituer une concurrence.

Implantation et conduite culturale d’une parcelle de petits fruits

CHOIX DE LA PARCELLE

01 > Exposition

Les parcelles doivent être protégées du vent et des gelées printanières. En zone de plaine, la culture peut s’avérer délicate : en effet, les petits fruits craignent une chaleur excessive et un trop faible taux d’hygrométrie. Par ailleurs, les cassissiers ont des besoins en froids qui risquent de ne pas être satisfaits en climat trop doux. La mise en place de la culture de petits fruits ombragée par des arbres ne semble pas être une solution acceptable car des essais menés par le SUAMME ont montré que dans ces conditions les plantes étaient pénalisées dans leur développement. Cependant, il pourrait être intéressant de tester la mise en place de toiles d’ombrage, avec diverses densités d’occultation.

02 > Choix du sol

Les fruits rouges apprécient les sols profonds, frais mais pas asphyxiants, riches en matière organique bien décomposée (les sols maraîchers sont globalement bien adaptés). Si les framboisiers et les groseilliers préfèrent les sols légèrement acides à neutres, les cassissiers se plaisent dans les sols argilo-calcaires à pH 7 ou 7,5, où ils exprimeront mieux leurs arômes. La ronce quant à elle apprécie tous les types de sols, sauf ceux à pH très acide (< 5,5)

PRÉPARATION DE LA PARCELLE

01 > Ameublissement

Si le sol est très tassé, il faut absolument l’ameublir, par un griffage à environ 30 cm, à faire en période sèche, et surtout pas sur un sol non ressuyé. Idéalement, on implantera un engrais vert ou à défaut une céréale pour débarrasser la parcelle des graines d’adventices et limiter les pathogènes. Après l’apport de la fumure de fond, on peut procéder à un labour léger à 10-12 cm pour enfouir le compost et éliminer les adventices vivaces comme le chiendent. Enfin, on fera un griffage en surface pour avoir un sol bien égalisé avant de mettre en place les plants, et supprimer encore les adventices.

02 > Fumure de fond

Elle est indispensable dans la plupart des sols. En fonction des résultats de l’analyse et de la texture du sol (argileuse ou sableuse), on apportera 10 – 30 T de compost ou de fumier bien décomposé par ha.

PÉRIODE DE PLANTATION

Elle s’échelonne de novembre à mi-mars. A l’automne, la reprise est souvent meilleure mais les risques de salissement de la parcelle sont importants. En climat doux, la période janvier-février permet un bon compromis. Il est possible de planter des plants en godets jusqu’à début juin, à condition d’irriguer dès la plantation.

CHOIX VARIÉTAL

01 > Préambule

La priorité est de se fournir en plants sains : les framboisiers devront être exempts de phytophtora qui provoque un dessèchement très rapide des cannes, type « coup de feu ». Le choix des variétés dépendra de la destination de la production (en frais ou transformé) et du type de débouché (paniers avec baisse des volumes en été, marché bien fréquenté l’été…), de l’organisation de l’exploitation (pics de travail à certaines périodes en cas de diversification) mais aussi des conditions pédoclimatiques (besoins en froids…) et de la nécessité de pollinisation. En circuits courts, il est important de privilégier des variétés gustatives et suffisamment productives, et, en framboise, on pourra combiner des non-remontantes (à maturité en juin-juillet) et des remontantes (de fin juillet aux gelées) pour échelonner encore plus la production. Quelques exemples de variétés sont donnés dans le tableau ci-contre.

02 > Palissage et écartement

En framboise et mûre, le palissage est obligatoire. En cassis et groseille, la conduite la plus fréquente est en buisson (voir tableau ci-contre), mais il est possible de palisser en haie ou en palmette à 2 branches par exemple. La conduite sur treillis des framboisiers est un système simple, bien adapté aux variétés remontantes et qui permet une bonne aération

ITINÉRAIRE CULTURAL

01 > Taille

Taille du framboisier : Variétés remontantes : la production a lieu sur les tiges de l’année. En culture professionnelle, on ne cherche pas à avoir deux récoltes par an car le rendement cumulé sera de toute façon plus faible qu’avec une seule récolte, et la qualité moindre. On coupe donc en hiver toutes les cannes au ras du sol. Il vaut mieux éviter d’utiliser une débroussailleuse qui hache les cannes et favorise les maladies. Variétés non remontantes : la production a lieu sur les cannes de l’année précédente : on supprime donc les cannes de 2 ans, ayant déjà porté les fruits et on ne laisse que des cannes de l’année précédente, environ 10 à 12 par mètre linéaire. Dans tous les cas, il ne faut pas laisser la culture gagner l’inter-rang et maintenir la culture à 40cm de large environ.

Taille du cassissier et du groseillier : pour la conduite en buisson, on garde environ 8 charpentières : les fruits se forment sur le bois de 2-3 ans pour les groseilles et 1 à 3 ans pour les cassis. La taille d’entretien consiste donc à éliminer le vieux bois pour ne conserver que des pousses jeunes (3 ans maximum).

Taille de la ronce : la fructification a lieu sur le bois de 2 ans, ensuite, celui-ci se dessèche. La taille consiste donc à éliminer les rameaux desséchés tandis que l’on conserve les jeunes pousses.

02 > Fumure d’entretien

Pour maintenir un taux de matière organique satisfaisant, on procède à un apport de 5 à 15 T de compost chaque automne, en l’incorporant au sol par un léger griffage. Au printemps, pour assurer une bonne reprise, surtout sur sol froid et si le printemps est frais, on apporte un engrais organique riche en azote et phosphore, en 1 à 3 fois et en localisé. Le premier apport se fait avec un engrais rapidement minéralisable contenant par exemple de la farine de plume ou des arrêtes de poisson, ou encore du guano en situation très froide. Ensuite, on apporte un engrais plus lentement minéralisé (tourteau de ricin par exemple) mais qui permettra de repousser les campagnols ou rats des champs.

03 > Entretien du sol

Généralement les entre-rangs sont maintenus enherbés avec une fauche régulière. Le sol peut être entretenu par des binages et sarclages sur la ligne de plantation. En framboisiers, ces opérations sont surtout chronophages les deux premières années : ensuite, le développement des cannes a tendance à étouffer les adventices et les interventions sont plus réduites. Afin de limiter le travail de désherbage manuel sur le rang, il est parfois envisagé de « mulcher », avec de la paille, du Bois Raméal Fragmenté ou du compost de déchet vert grossier. Mais attention, les risques d’infestation de mulots et de champignons aux collets sont importants. Si l’on souhaite absolument mettre en place ce type de paillage, il est recommandé d’écarter le mulch en hiver pour éviter de laisser l’humidité stagner au pied des plantes. On pourra aussi limiter la présence du mulch à la bordure du rang et laisser le rang nu. Dans ces conditions, il peut être envisageable d’appliquer un mulch fertilisant composé d’un compost de fumier très évolué ou de compost de déchets verts mélangé à 15 % environ de fumier de volaille que l’on laisse évoluer une dizaine de jours avant épandage (d’après JL Petit, communication personnelle). Le paillage plastique est quant à lui concevable pour les cassissiers et groseilliers, mais il devra être perforé pour permettre la sortie des jeunes cannes et drageons.

RAVAGEURS ET MALADIES

Peu de produits contenant des matières actives autorisées en agriculture biologique sont homologués sur les petits fruits. La prévention est donc particulièrement incontournable. On notera également l’importance de la lutte contre les ravages causés par les oiseaux.

RÉCOLTE ET CONSERVATION

La récolte des fruits rouges est très gourmande en main d’œuvre : la vitesse de cueillette est faible car les fruits sont petits et fragiles, et la fréquence de passage est importante, surtout en framboise.La première année, on ne récolte aucun fruit, quelque soit l’espèce mise en place.En deuxième année, on peut escompter une récolte d’environ 40% de l’optimum, le maximum étant atteint dès la troisième année, et ce pour une durée de 7 à 10 ans (moyenne 8 ans) pour les framboisiers, environ 10 ans pour les ronces et 15 à 18 ans pour les cassissiers et groseilliers, si les plantations sont bien entretenues.

La récolte a lieu préférentiellement le matin, car les fruits sont froids et ils se conservent mieux. Les framboises sont récoltées à maturité tandis que les mûres doivent être cueillies à pleine maturité pour assurer une bonne qualité gustative (elles sont moins fragiles que les framboises). Cassis et groseilles, moins exigeants, peuvent être ramassés en un seul passage.Les fruits sont fragiles : on pourra conserver les framboises 48h maxi à environ 10°C (le passage de trop froid à chaud, en été, est préjudiciable à la tenue des fruits).

La commercialisation des petits fruits bio

COMMERCIALISATION

Comme nous l’avons déjà évoqué, il est primordial de définir ses circuits de commercialisation avant de démarrer la plantation du verger, afin de choisir les espèces et variétés les mieux adaptées et de quantifier le nombre de plants à installer. Une étude de marché est incontournable, pour la vente en frais comme pour la vente de produits transformés.

LA VENTE EN FRAIS

Les petits fruits se rencontrent principalement sur les marchés de montagne et les marchés saisonniers. Ils sont conditionnés en bar-quettes, de poids réduit (125 g en général) afin de limiter le prix de vente de la barquette et les rendre ainsi accessible aux clients.La mauvaise tenue de ces fruits à la conservation et au transport explique leur quasi-absence en magasins spécialisés. On en trouve parfois en boutique de producteurs, mais de façon ponctuelle, en général seulement le jour où le producteur assure sa permanence !Enfin, ils sont parfois vendus à des restaurateurs haut de gamme et qui travaillent les produits du terroir

PRIX DE VENTE ESTIMATIFS

LA VENTE DE PRODUITS TRANSFORMÉS

Les produits transformés à base de petits fruits les plus courants sont bien évidemment les confitures. Vendues de 4 à 6 € environ le pot de 320 / 360 grammes, elles sont rarement achetées par les clients pour une consommation quotidienne : il s’agit plutôt de produits « festifs » (achat « plaisir », cadeau) ou « de terroir » (achetés sur les lieux de villégiature notamment). D’autres produits permettent de transformer les petits fruits : les pâtes de fruits, coulis et compotes (en association avec la pomme), et les sorbets, vendus sur les foires ou conditionnés en bacs et commercialisés dans les magasins spécialisés, les épiceries fines et les boutiques de producteurs.

Irrigation et ombrage : les spécificités en zone méditerranéenne

En conditions méditerranéennes, l’irrigation est indispensable, en particulier pour couvrir les besoins en eau de la floraison à la récolte et s’assurer un bon rendement. Les apports doivent être modérés et réguliers plutôt que conséquents et espacés (de 4 à 8 mm /j), mais cela sera à nuancer selon le type de sol.

L’arrosage peut être réalisé par goutte-à- goutte ou par aspersion sous ou sur frondaison (ce dernier système étant le moins onéreux). Le goutte-à-goutte présente l’avantage d’économiser la ressource en eau ; il est le plus utilisé en cassis et groseille. L’aspersion est le système le plus intéressant en framboisiers car il permet d’humidifier le feuillage (la plante apprécie la rosée) mais, sur les autres espèces, elle accroît les risques de maladies cryptogamiques.

La combinaison goutte-à-goutte / aspersion a été testée avec succès en AuRA et PACA : en plus du goutte-à-goutte apportant l’eau d’arrosage, on place des asperseurs qui permettent de créer une rosée artificielle quand l’air trop sec favorise la prolifération d’acariens sur les feuilles. 10 à 20 minutes chaque matin par temps sec sont suffisantes.

Ce dispositif peut être installé sous « parapluie » (voir schéma ci-dessous), constitué d’arceaux de serre recouverts sur le dessus d’une bâche ou d’une toile d’ombrage et ouvert sur les côtés, ce qui permet de protéger la culture d’un ensoleillement excessif. Un abri plastique de ce type est également intéressant pour prolonger la récolte de framboises remontantes et éviter les maladies en cas d’automne pluvieux.

Références

– Fruits rouges en agriculture biologique, Jean-Luc Petit, ITAB, 2001

– Fiche « Le cassissier », « le groseillier » et « le framboisier » : éléments techniques et économiques pour les zones de montagne sèche du Languedoc-Rous-sillon », OIER SUAMME, 2010

– Fiche « Taille et palissage du framboisier », OIER SUAMME, 2010

Article rédigé par Elodie Bernard, CIVAM Bio 34, et initialement paru dans Le Mag’ de la conversion n°15, mars 2020