Pratiques de désherbage et biodiversité des sols : analyse de 2 pratiques

Publié le : 24 octobre 2017

Dans le cadre du projet  CASDAR « Comment maîtriser l’enherbement des exploitations maraîchères biologiques de la vallée Arize-Lèze ? » (2014- mars 2017), coordonné par Erables31, le groupement d’agriculteurs bio de Haute Garonne, des maraîchers ont fait part de leurs questionnements sur les effets de la solarisation et du désherbage à la vapeur sur la vie du sol. Retours les protocoles et les premiers résultats de l’impact de 2 techniques de désherbage : la solarisation et le désherbage à la vapeur.

Article rédigé par Delphine Da Costa, Civam Bio Ariège et Erables 31, Y. Capowiez, T. Deplanche, relecture P. Besse, T. Fleurantin et D Pellequer

3 étapes dans la serre, solarisation, credit Civam Bio 09

Protocole et méthode

Le projet a été suivi par 12 maraîchers référents qui se sont réunis régulièrement au cours de ces trois années d’étude. En 2015, Le GRAB d’Avignon, le CIVAM Bio 66 et l’INRA, partenaires du projet, ont été sollicités pour des références bibliographiques sur les effets de ces techniques sur la biodiversité du sol. Cependant,  aucuns travaux ne semblaient avoir été réalisés pour mesurer ces impacts. Deux chercheurs ont été mobilisés : Yvan CAPOWIEZ, chercheur à l’INRA d’Avignon pour suivre l’évolution des vers de terre et des araignées et Thibaut DEPLANCHE, ingénieur Agronome Conseiller à Celesta-lab de Montpellier pour noter la biomasse microbienne et son activité.

Des prélèvements dans deux serres désherbées en cours de saison 2016 et dans une serre
témoin en culture située sur la même parcelle ont été réalisés. Le choix du témoin a été réfléchi avec les maraîchers référents et les chercheurs afin que l’étude soit représentative
des pratiques en Ariège et Haute-Garonne. Ainsi, la serre témoin est une serre en culture, car les maraîchers du territoire ont besoin de rentabiliser l’ensemble de leurs surfaces couvertes (si une serre n’est pas solarisée, elle est en culture).

Les prélèvements et le suivi des vers de terre et des araignées ont été faits par Yvan Capowiez en utilisant respectivement le tri manuel de bloc de sol (30 x 30 x 30 cm) et les pots-pièges. Les prélèvements pour l’étude de la biomasse microbienne et de son activité ont été faits par Delphine Da Costa, en suivant le protocole du laboratoire Celesta-lab : 15 prélèvements dans chaque serre, toujours aux mêmes endroits, sur les premiers 20 cm de profondeur.

Analyse des effets de la solarisation

Voici le déroulé des prélèvements et de la production :

  • 1ers prélèvements pour noter l’état initial, le 19 mai : Sous la serre à solariser, des pommes de terre primeurs sont cultivées. La serre témoin est mise en cultures de courgettes, oignons et melons.
  • Solarisation : Plein du sol avec 60 mm d’eau pour transmettre la chaleur en profondeur par conduction et bâche posée du 14 juillet au 29 août (fortes chaleurs durant cette période).
  • Prélèvements 1 semaine après avoir enlevé la bâche, le 8 septembre : la serre solarisée commence à être semée en radis. La serre témoin est cultivée en haricots verts et salades.
  • Prélèvements deux mois après avoir enlevé la bâche, le 7 novembre : sous la serre solarisée des radis, choux raves, rutabagas sont cultivés et prochainement des carottes seront semées. La serre témoin est cultivée en fenouils, salades et épinards.

Les résultats obtenus  :

Sur l’abondance et la biomasse des vers de terre

solarisation,abondance et biomasse des vers de terre, source Erables 31

14 semaines après avoir enlevé la bâche de solarisation, le nombre et la biomasse de vers de terre sont toujours loin des niveaux de l’état initial et de la serre témoin du mois de mai. Dans la serre qui a été solarisée, le nombre et la biomasse de vers de terre ont toutefois augmenté régulièrement jusqu’à 8 semaines après la solarisation, ils diminuent ensuite à partir de début novembre lorsque les sols commencent à se refroidir.

Par ailleurs, les quantités de vers à l’état initial dans les deux serres (mai) et jusqu’à début novembre pour la serre témoin sont intéressantes à noter : jusqu’à près de 1 200 kg/ha au point le plus haut. Bien que les références soient rares (car dépendantes de nombreux éléments dont le type de sol), ces valeurs sont relativement importantes alors qu’il s’agit d’un sol travaillé régulièrement et où il en découle une faible quantité de vers anéciques (les plus gros).

Sur la Biomasse microbienne et son activité

3 prélèvements sur la Biomasse Microbienne et son activité ont été réalisés : à l’état initial (19 mai), 1 semaine après avoir enlevé la bâche (8 septembre) et 2 mois après (7 novembre). Un dernier prélèvement a été fait fin mars 2017. Le type de sol  est limon sablo-argileux. Les 2 serres étant situées sur la même parcelle, le sol est identique.

Cependant, des apports réguliers de compost de déchets verts ont été réalisés par le maraicher. Les taux de Matière Organique ont été modifiés et sont élevés, ce qui est inhabituel pour ce type de sol (à l’état initial : 4 % dans la serre à solariser et 5,5 % dans la serre témoin). Cela souligne l’influence des amendements (période du 19 mai au 7 novembre : fluctuations entre 4 et 5,5 % dans la serre témoin et entre 4 et 6 % dans la serre solarisée)[1]. Les teneurs variables du pourcentage de la Matière Organique dans la serre solarisée proviennent de l’hétérogénéité du sol dû aux apports de compost de déchets verts début juillet. Cette évolution de la proportion de Matière Organique (MO) dans le sol n’est pas idéale pour le protocole Celesta-Lab. Cette étude ayant été réalisée sur une ferme en conditions réelles de production, il était impossible de demander au maraîcher de ne pas réaliser l’apport de matière organique.

solarisation, evol (BM) par rapport à MO totale et évol poids, source Erables 31

Les proportions à l’état initial sont satisfaisantes. Habituellement, ces résultats sont stables, les variations notées dans la serre solarisée montrent que les conditions environnementales (la MO, la température et l’humidité) ont été modifiées. Les résultats des prélèvements à l’état initial montrent que dans les deux serres, le compartiment microbien est très développé et que le sol est vivant. Ces deux résultats soulignent la forte dépréciation de la solarisation sur la biomasse microbienne dont les taux ne sont toujours pas remontés deux mois après avoir enlevé la bâche.

Néanmoins, la serre témoin ayant aussi été solarisée deux ans auparavant, les prélèvements réalisés ont montré des taux élevés de biodiversité du sol sur les micro-organismes et les vers de terre. L’effet de la solarisation n’était donc plus visible 2 ans après.

L’association s’est alors questionnée sur le « rythme » de reproduction des vers de terre dans de bonnes conditions (nombre de descendants/ générations par an…). Cela dépend des espèces ou des catégories écologiques : très rapide pour les vers épigés (qui sont de plus parthénogénétiques) et moins rapide pour les endogés et les anéciques qui ont 2 pics de production de cocons par an (printemps et automne), chaque individu faisant plusieurs cocons. Il reste possible que la solarisation ait gêné la reproduction des vers à l’automne (puisque les abondances étaient faibles) et que les populations ne se restaurent qu’au printemps (résultats en cours de synthèse).

[1] le 9 juillet, 2 tonnes de compost de déchets verts ont été apportés dans la serre qui allait être solarisée et 1,5 tonne dans la serre témoin. Or, Celesta-lab demande l’absence d’apports de matière organique dans les 3 mois qui précèdent les analyses. Ces apports en cours d’étude expliquent les variations fortes de pourcentage de Matière Organique.

 

Analyse des effets du désherbage vapeur

Voici le déroulé des prélèvements et de la production :

  • 1ers prélèvements à l’état initial, le 20 mai : la serre à désherber à la vapeur est cultivée en plants de poireaux. La serre témoin est plantée en tomates.
  • Désherbage à la vapeur, mi-septembre : générateur Simox ; chauffe l’eau 2 fois ; vapeur à 180°C ; cloche de 5 m2 ; 12 000 € neuf ; 5 minutes de pose.
  • 2èmes prélèvements, après désherbage à la vapeur, le 20 septembre : La serre désherbée à la vapeur a commencé à être semée en carottes. La serre témoin est cultivée en choux chinois, épinards, navets et fenouils.

Les résultats obtenus :

Sur l’abondance et la biomasse des vers de terre

desherbage vapeur,abondance et biomasse des vers de terre, source Erables 31

1 semaine après le désherbage à la vapeur, un niveau similaire à l’état initial est retrouvé. Le désherbage à la vapeur semble avoir été sans impact sur la population de vers de terre.

Sur la biomasse microbienne et son activité

2 prélèvements ont été réalisés : à l’état initial (20 mai) et 1 semaine après le passage de la machine à vapeur (20 septembre). Le type de sol est limono sablo-argileux. Les proportions de Matière Organique varient de 4 à 5 % dans la serre témoin et de 4,7 à 5 % dans la serre désherbée à la vapeur, nous considérons que les valeurs sont similaires. En effet, l’hétérogénéité du terrain a pu entraîner ces imprécisions.

desherbage vapeur, evol (BM) par rapport à MO totale et evol poids, source Erables 31

Comme souligné pour les résultats de la solarisation, ces données sont normalement très stables. Les variations notées dans la serre désherbée à la vapeur soulignent que les conditions environnementales ont été modifiées, contrairement à la serre témoin.

Dans la serre désherbée à la vapeur, une augmentation du développement de la biomasse microbienne est observée. L’impact de cette méthode étant très superficiel, on peut imaginer une recolonisation très rapide après désinfection. Une piste d’explication peut être une sensibilité plus accrue des prédateurs de la biomasse microbienne (protozoaires, amibes,…) à la désinfection. Un milieu privé d’au moins une partie des prédateurs sera forcément plus favorable à la biomasse microbienne qui se développe plus rapidement. Il faudrait évidemment multiplier ces études pour avoir un avis plus tranché.

Ces premiers résultats ont été présentés au cours de la 1ère journée Maraîchage Bio en Occitanie, à Perpignan le 10 novembre 2016, territoire sur lequel les maraîchers bio ont l’habitude de pratiquer la solarisation en plein champ. Cette présentation a soulevé de vives réactions et des demandes de compléments d’informations. L’association Erables 31 a réalisé cette étude avec les moyens disponibles, en espérant que ce travail soit une base de réflexion pour des structures spécialisées. L’INRA d’Alenya a fait part d’un projet qui a débuté sur ce même thème. L’étude présentée ici n’est pas terminée et des résultats nouveaux ont été  acquis au printemps 2017 et sont en cours de synthèse.

En savoir plus :

  • Retrouvez toutes les informations sur le CIVAM bio de l’Ariège et Erables 31: ici 
  • Retrouvez la présentation de ces résultats lors de la journée technique maraichage bio Occitanie : ici
  • Retrouvez les autres présentations de la journée technique Occitanie sur le site de Sud&Bio