État des lieux sur les cires à usage apicole utilisées en France

Publié le : 25 octobre 2018

L’ITSAP a piloté une thèse sur la cire à usage apicole. La cire apicole est un produit sensible aux contaminants et sa qualité fait l’objet de toutes les attentions dans différents pays de l’Union Européenne. Sur la base des bonnes pratiques déjà en place en France, l’enjeu principal sera de les renforcer au sein de l’ensemble de la filière. Les 4 principaux axes à développer en commun : outils de surveillance de la qualité, suivi terrain, amélioration règlementaire, et recherche.

En 2016, les cires d’abeille utilisées en France ont fait l’objet d’une thèse d’exercice vétérinaire. Cette étude, réalisée par Agnès Schryve, était encadrée conjointement par le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) et l’ITSAP-Institut de l’abeille, et financée par le Ministère de l’Agriculture, l’Agroalimentaire et la Forêt. Elle avait pour objectifs de :

  • connaître le circuit de la cire en France, les acteurs impliqués et leurs rôles,
  • mettre en évidence des points à risque au regard de la qualité des cires,
  • proposer des pistes d’action pour améliorer la qualité des cires.

Cet article présente les points majeurs mis en évidence dans ce travail.

La cire, un intrant majeur en apiculture

La feuille de cire gaufrée est un intrant utilisé par une grande majorité d’apiculteurs chaque année afin d’assurer le renouvellement des cadres dans le corps de la ruche (rappelons-le, le guide des bonnes pratiques apicoles, ITSAP, 2014 préconise de renouveler 1/3 à ¼ des cadres de corps par an). Les feuilles de cire introduites proviennent de la transformation des opercules, des cires de cadres de hausses ou de cadres de corps. Certains apiculteurs choisissent l’auto-renouvellement et ne recyclent que la cire de leur propre exploitation, d’autres achètent de la cire d’origine extérieure.
Mais qu’en est-il de la qualité sanitaire des cires transformées ou achetées et de son impact sur la santé des colonies ?

Contamination de la cire et impact sur la santé des abeilles

La cire peut contenir différents contaminants de nature chimique ou biologique. Elle peut aussi être dégradée par l’ajout de substances étrangères, on dit alors qu’elle est adultérée.

Tout d’abord, la cire peut véhiculer des agents biologiques tels que des bactéries (spores de loque américaine ou européenne) ou des parasites (spores de Nosema par exemple). L’introduction dans les ruches de feuilles contaminées peut être responsable de la diffusion d’épizooties telles que la loque américaine, entraînant ainsi des conséquences sanitaires et économiques importantes pour l’apiculteur et parfois l’ensemble de la filière apicole. Il est donc nécessaire d’utiliser des nouvelles feuilles de cire indemnes de ces agents pathogènes. Cependant, peu d’études portant sur la destruction par traitement thermique des agents infectieux contenus dans la cire ont été réalisées. De plus, bien que l’on connaisse les barèmes de traitement thermique pour détruire certains agents pathogènes (par exemple, chauffage à 80°C pendant 22 minutes pour éliminer 99,9% des spores de loque européenne (Ministry of Agriculture and Forestry, New Zealand 2004)), certains barèmes donnés dans la littérature sont difficilement applicables à ce jour par les ciriers ou les apiculteurs (chauffage à 120°C pendant 24h pour éliminer les spores de loque américaine (Smirnov and Tsivilev cité par Ministry of Agriculture and Forestry, New Zealand 2004)).

Par sa nature lipophile, la cire peut accumuler également des acaricides, des pesticides et d’autres contaminants apicoles ou environnementaux. Ces molécules sont rémanentes dans la cire et on retrouve encore aujourd’hui dans celle-ci du coumaphos dont l’utilisation est pourtant interdite depuis 2002.

Des études ont montré qu’il existe un niveau de contamination différent selon le type de cire : les cires de corps seraient les plus fortement contaminées, suivies des cires des hausses et des cires d’opercules (Tsigouri et al. 2003 ; Persano et al. 2003). Concernant la santé des colonies, la présence de cires fortement contaminées par des pesticides au contact du couvain a un effet néfaste sur le développement de la larve et la longévité de l’abeille (Wu, Anelli, et Sheppard 2011) et l’exposition chronique de reines à des cires contaminées par du coumaphos à hauteur de 100 mg/kg empêche leur développement (Collins et al. 2004).

Enfin, à l’état liquide, la cire peut être adultérée par des cires industrielles (paraffine), animales ou végétales à bas coût dont on ne connaît pas l’effet sur la santé de l’abeille ou le bâtissage des feuilles (Serra Bonvehi et Orantes Bermejo 2012).

Qu’en est-il de la réglementation sur la cire ?

  • Y a-t-il des limites en résidus fixées pour la cire ?

La cire n’est pas considérée comme une denrée alimentaire, c’est un intrant technique, il n’y a donc pas de seuil à respecter concernant les contaminants de la cire d’abeille, comme il existe des limites maximales de résidus (LMR) pour le miel par exemple. En revanche, le miel en rayons, considéré comme une variété de miel, doit respecter les LMR définis pour le miel.

  • Des conditions pour transformer et commercialiser la cire

D’après les règlements (CE) n°1069/2009 et (CE) n°142/2011, la cire est un sous-produit apicole de catégorie 3 dont la transformation requiert un agrément sanitaire délivré par les DDPP (Anonyme 2009b ; Anonyme 2011). À ce jour, un seul cirier en France dispose de cet agrément. Ce qui veut dire que la majorité des ciriers ne sont pas dans une situation de conformité avec cette exigence règlementaire.

La filière cire en France et ses acteurs : bilan en image

Cliquez sur l’image pour l’afficher en grand

La figure 3 récapitule les différentes étapes du circuit de la cire et mentionne les acteurs intervenant à ces étapes. À noter que certains organismes (syndicats apicoles départementaux et GDSA) organisent des collectes groupées de cire afin de proposer un service de distribution de feuilles de cire à leurs adhérents.

Principaux points à risque relatifs à la qualité des cires

  • Une qualité dépendante des difficultés d’approvisionnement

La qualité, notamment chimique, des feuilles de cire dépend directement de la qualité de la matière première utilisée. Certains apiculteurs ne peuvent pas toujours réaliser un circuit fermé leur permettant de s’affranchir d’un achat d’origine extérieure, ils sont donc dépendants de la qualité des feuilles de cire achetées.

Les cires achetées sont soit des cires françaises, soit des cires provenant de pays tiers (Chine, Amérique du Sud, Afrique), ceci s’expliquant par un déséquilibre entre la demande et l’offre en cire française. Qu’elle vienne de France ou de l’étranger, la qualité de la cire achetée n’est pas toujours assurée. Les cires françaises proviennent en général de la transformation d’opercules, mais également de cire de cadres de hausses ou de corps. L’étude a notamment montré que sur 139 apiculteurs, 30% d’entre eux choisissent de faire partir leurs cires de cadres de corps dans le circuit apicole pour la vente ou l’auto-renouvellement (source : exploitation de données d’audits sanitaires du DIE ONIRIS/ENVA). Ce sont pourtant généralement les cires les plus contaminées car elles restent plusieurs années dans la ruche.

En ce qui concerne les cires d’importation, leur qualité dépend des exigences demandées par l’importateur de cire (cirier, revendeur) à son fournisseur. Certains ciriers réalisent des analyses sur la cire importée afin de connaître sa teneur en contaminants chimiques et savoir si elle est adultérée par des substances extérieures. Par ailleurs, un contrôle est effectué au niveau des postes d’inspection frontalier par les services vétérinaires, celui-ci a pour but de s’assurer du respect des exigences réglementaire. Ces exigences concernent uniquement les agents biologiques et ce contrôle ne permet donc pas d’attester de la qualité chimique (dont notamment les contaminations éventuelles) de la cire importée.

  • La majorité des ciriers ne dispose pas de l’agrément sanitaire

Lors de cette étude, onze ciriers et une société coopérative et participative réalisant la transformation et commercialisation de feuilles de cire gaufrée ont été identifiés. Seul un cirier sur les douze identifiés possède l’agrément sanitaire pourtant obligatoire. Au-delà de l’aspect purement réglementaire, cette absence d’agrément signifie que l’on ne sait pas si ces professionnels mettent en œuvre les bonnes pratiques dans leur établissement.

Trois ciriers ont accepté de nous accueillir dans leur atelier de transformation pour nous montrer leur manière de travailler. Les pratiques observées chez ces ciriers témoignent d’une démarche d’amélioration de la qualité des cires : système de traçabilité et procédure de nettoyage entre les lots mis en place, analyses de cire sur les cires importées ou sur des lots représentant de gros volumes, gestion différentielle des cires de qualité distincte.

  • Des analyses de cire trop peu souvent réalisées

Peu d’analyses de cire sont réalisées par les acteurs de terrain (apiculteurs, organismes de collecte …). À titre d’exemple, sur un échantillon d’environ 130 apiculteurs, seuls 3,4% ont déjà réalisé des analyses de résidus de médicaments vétérinaires et 1,6% des analyses de résidus de produits phytosanitaires sur la cire présente dans leur ruche (source : Exploitation de données d’audits sanitaires du DIE ONIRIS/ENVA. Plusieurs facteurs expliquent ce constat :

  • une offre en analyses de cire proposée par les laboratoires bien moins élevée que pour le miel (en raison de la difficulté pour les laboratoires à analyser cette matrice),
  • le coût des analyses de cire élevé (plus de 200 euros pour une analyse multi-résidus),
  • l’absence d’exigences réglementaires ou contractuelles concernant la qualité chimique des cires,
  • des méthodes d’analyses multi-résidus proposées par les laboratoires qui sont perfectibles à ce jour.

Comment améliorer la qualité des cires utilisées ?

Dans cette thèse sont proposées des premières pistes d’actions à court, moyen et long terme visant à améliorer la qualité des cires.

Les propositions d’actions à court terme sont à destination des acteurs de terrain qui manipulent la cire, à savoir les apiculteurs et les ciriers. Elles donnent des moyens de maîtrise concrets de la qualité de la cire. Parmi ceux-ci, on peut citer le recyclage de la cire d’opercules en circuit fermé, l’utilisation de matériel adapté, par exemple en inox, pour la fonte de la cire, la traçabilité des cires achetées ou encore la contractualisation des achats et des ventes de cire entre les apiculteurs entre eux ou avec le cirier.

Les propositions d’action à moyen et long terme concernent l’ensemble des acteurs de la filière cire (apiculteurs, ciriers, administration, structures techniques et sanitaires, laboratoires, …). Quatre axes d’amélioration ont été proposés :

  1. Objectiver la contamination des cires utilisées en France
  2. Proposer des moyens et des outils pour les acteurs de terrain de la filière (par exemple, des méthodes d’analyse performantes de la cire)
  3. Mieux caractériser et réglementer la cire utilisée en production biologique (notamment en définissant des seuils en résidus chimiques)
  4. Développer la production de connaissances et encourager la recherche sur l’impact de la qualité des cires sur le bâtissage des abeilles et la santé des colonies ainsi que sur la maîtrise des contaminants chimiques dans les cires

Conclusion

La qualité des cires apicoles est un sujet d’intérêt grandissant en France et en Europe (notamment en Allemagne – voir ici (en allemand)). Les difficultés auxquelles font face certains apiculteurs suite à la contamination de leur cire font prendre conscience de la nécessité de s’intéresser à la qualité de cet intrant largement utilisé dans la filière apicole.

L’amélioration de la qualité de la cire repose aujourd’hui sur une action commune et une coopération entre les différents acteurs de la filière. La filière de la cire ne part pas de zéro : des bonnes pratiques sont déjà mises en place. En effet, le renouvellement des cadres et la gestion différentielle des cires selon leur qualité (cire d’opercules, cire de cadres de corps, cire de cadres de hausses) sont déjà effectués par des apiculteurs et des ciriers. Des structures de collecte existent et conseillent également leurs adhérents sur les bonnes pratiques à tenir au sujet la gestion des cires.

Pour aller plus loin

Remerciements

Merci à tous les acteurs ayant accepté de participer à cette étude : les ciriers, les apiculteurs, les syndicats apicoles de l’UNAF et du SNA, les GDSA et la FNOSAD, GDS France et les FRGDS Rhône-Alpes et PACA, les ADA et ADA France, les laboratoires, la FNAB, l’Anses Sophia antipolis, les agents des DDPP et des PIF, les organismes certificateurs et l’INAO.