Agro-Pastoralisme : Introduire des poules dans les vergers : une pratique qui porte ses fruits

Publié le : 29 avril 2021

Pour accompagner les arboriculteurs qui souhaitent introduire des poules dans leur verger, l’ADABio a organisé une visite à la ferme aux milles fruits dans la Loire qui met en œuvre cette pratique depuis deux années et commercialise les œufs en direct. La ferme fonctionne avec 2 associés, 1 salarié et 3 saisonniers pour cultiver 14 ha de pêches, pommes, poires, abricots, cerises, raisin, châtaigne, pommes à cidre. Ils ont commencé avec 70 poules et en ont 200 aujourd’hui, réparties sur 5 poulaillers mobiles. Retour sur la visite et les enjeux de la mise en place d’un atelier poule sous les arbres fruitiers.

Une pratique aux objectifs multiples

  • Réguler la pression en ravageur et l’enherbement

Outre le désherbage, les poules grattent le sol et se nourrissent des pupes ou larves d’insectes hivernant dans le sol, de manière non sélective donc aussi bien ravageurs qu’auxiliaires. Elles attrapent aussi les adultes lorsqu’ils émergent et explorent le verger. Il convient donc de trouver un équilibre. La ferme aux mille fruits a vu des résultats positifs sur la mouche de la cerise et sur mineuses et carpocapses du pommier avec une baisse de la pression. Les poules semblent aussi réguler les populations d’hoplocampe (combiné à du piégeage massif), comme l’a constaté un producteur en Isère. En Bretagne, suite à trois années de pâturage des poules sous les vergers, des producteurs ont largement diminué les populations d’anthonome. Des arboriculteurs vont tester l’introduction de poules pour réguler la Cécidomyie des poirettes dans l’Ain.

  • Fertiliser

Les fientes de poules apportent de l’azote rapidement disponible pour les plantes. La ferme aux mille fruits a mesuré que 70 poules ont généré 1T de fiente/ha en 3 mois soit environ 10 kg d’azote/ha. Aussi, il faut veiller à ce que cette pratique ne génère pas le dépassement du cadre règlementaire sur l’épandage des effluents d’élevage. Le seuil est fixé à 170kg d’azote/ha/an. Ce seuil intervient dans le dimensionnement du système, tout comme la règlementation bio qui assure 4m²/poule.

  • Se diversifier et répondre à la demande en œuf bio

D’un point de vue économique, les 200 poules de la ferme aux mille fruits génèrent un chiffre d’affaire de 25 000 euros : c’est autant que celui de l’atelier pêche ! Le temps de travail accordé aux poules est de 45 minutes/jour pour faire le tour des 5 poulaillers en voiture ainsi que ramasser et dater les œufs. De nombreuses tâches sont automatisées pour faciliter le travail et gagner du temps, comme la fermeture des portes du poulailler.

Toutefois, la commercialisation des œufs requiert aussi de respecter les rations alimentaires équilibrées (120g de grain/j/poule) pour avoir une productivité correcte. D’ailleurs, plusieurs arboriculteurs-éleveurs soulignent que la production d’œufs atteint le potentiel espéré et se stabilise au bout de 6 mois.

C’est pourquoi certains producteurs ne commercialisent pas les œufs ou bien se tournent vers des poules de réforme pour pâturer leurs vergers. Le passage d’une bande de poulets de chair après les récoltes, pendant 3 mois, a aussi été imaginé par un arboriculteur et sera mise en œuvre cet automne.

  • Renouer le lien entre végétal et animal

L’importance de réunir le végétal et l’animal est aussi mis en avant par la ferme aux mille fruits. La forêt est le milieu originel de la poule et le verger celui de certaines races (Gournay, Noire de Janzé) : cette association est bénéfique à la fois pour les arbres et pour les poules. Le travail avec des animaux est plaisant, bien que cela demande une certaine rigueur et astreinte.

© ADABio

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Comment mettre en œuvre cette pratique ?

Densité : en moyenne et de manière empirique, 60 à 80 poules/ha sont introduites dans les vergers. En Bretagne, 25 poules/ha ont contribué à gérer l’anthonome au bout de 3 années. Cette densité est à ajuster en fonction de la vitesse à laquelle les poules grattent le terrain. Elle est aussi guidée par les contraintes liées au matériel pour parquer (longueur des fils, accès à l’électricité), la règlementation nitrates et le bien-être animal en bio.

Circulation dans la parcelle : les parcs mobiles ou alors le déplacement du poulailler dans le parc fixe favorise l’exploration progressive de la parcelle par les poules.

Articulation élevage/arboriculture : Si traitement il y a, il faut prévoir un parc attenant à la parcelle pour y rassembler les poules les jours de traitement. Il peut aussi être imaginé que les poules soient maintenues dans le poulailler pour leur laisser un délai après le traitement qui a lieu tôt le matin.

Peu d’étude existent aujourd’hui sur les besoins en cuivre des poules en tant qu’oligo-éléments pour leur métabolisme. Il est aussi utilisé comme complément alimentaire, à hauteur de 12mg/kg de chair dans un aliment commercialisé pour les poulets de chair. Un article mentionne que la dose létale moyenne dans le cas du sulfate de cuivre est de 690 mg/kg d’aliment pour les poulets de chair, qui mangent environ 80g/j d’aliment. (Shivanandappa et al 1983), soit un seuil à environ 55g de cuivre/j. Pour donner un ordre d’idée, le cuivre appliqué sur les feuilles des arbres est lessivé après une pluie de 20 mm. En verger de pommiers bio, environ 120g à 700g de cuivre métal/ha est pulvérisé sur l’ensemble de la surface foliaire par traitement au cuivre. Cette utilisation est limitée règlementairement à 4kg de Cu/ha/an. En moyenne, selon les systèmes et les années, entre 2.5 à 3.5 kg de cuivre métal/ha/an sont utilisés, avec un minimum moyen de 0.67 kg de Cu/ha/an. (résultats issus du groupe Dephy Fruits à pépins bio ADABio entre 2012 et 2019). La ferme aux mille fruits a utilisé 2.3kg de Cu/ha en 2019 sur pommiers.

Comment parquer les poules dans le verger ?

A la ferme aux mille fruits, il a été choisi de faire bouger les poules sur la ferme avec des parcs mobiles. Ils sont réalisés à l’aide de 3 filets de 150 m, doublés par un fil électrique branché sur du 8000V pour limiter la prédation. Ils sont déplacés tous les 1 mois à 1.5 mois, parfois plus mais jamais au-delà de 6 mois, pour des raisons sanitaires. Cette installation nécessite 1/2 jour pour déplacer un parc + 2h toutes les trois semaines pour débroussailler sous le fil électrique.

Certains arboriculteurs, ou encore la station d’expérimentation en arboriculture de la Morinière, ont opté pour la mise en place de clôtures autour de la parcelle. Il faut compter 2000 euros/ ha pour clôturer de manière satisfaisante le verger.

A la ferme aux mille fruits, deux types de bâtiments sont présents : fixe (type Algeco) et mobiles (utilitaire aménagé, caravane : plus commode pour la manutention) et les ouvertures sont automatisées. Les investissements liés aux bâtiments s’élèvent à 3500 euros. D’un point de vue sanitaire, le bâtiment est nettoyé régulièrement avec du savon noir et au karcher.

Quelles races de poules sont adaptées à cette pratique et quels soins demandent-elles ?

Des poules rousses parcourent les vergers de la ferme aux mille fruits, ainsi que d’autres races comme la Noire de Janzé ou la Grise du Vercors, conseillées par les producteurs. En effet, ces poules rustiques ont des régimes préférentiellement insectivore et mangent moins de grains que les poules rousses et sont plus vives. Elles pondent moins d’œufs que les rousses, mais vivent plus longtemps. La faverolle allemande serait aussi intéressante.

Le soin aux poules est relativement simple : les parasites principaux sont les poux rouges qui s’installent dans le bois des bâtiments. A la ferme aux mille fruits, la phytothérapie est utilisée pour réguler ces parasites, inspiré par le traitement des pucerons au verger : un mélange d’huiles essentielles (10 mL en tout) de menthe poivrée/origan/Citronnelle de Java + paraffine (50cL) + savon noir (10L). Ce traitement est utilisé en cas de présence du parasite avérée et donne grande satisfaction d’efficacité aux producteurs.

Comment limiter la prédation des poules ?

La ferme aux mille fruits a perdu 140 poules à cause du renard et des fouines, en lien avec un problème de gestion des clôtures au début de la mise en place. Elles sont électrifiées. Le renard vient continuellement rôder, à l’affût d’une faille pour s’infiltrer. Il faut être constamment vigilant, à l’instar des producteurs de volailles.

Dans les systèmes où les parcs sont fixes, les clôtures grillagées sont enterrées à 2m environ pour que le renard ne puisse pas s’infiltrer en creusant. Un système avec un fil électrique jouxtant le grillage à quelques centimètres du sol permet de limiter l’entrée des prédateurs dans le parc.

Le renard est aussi un allié du verger car il chasse les campagnols. Il convient de trouver un équilibre entre tous ces animaux.

Procédures administratives

L’élevage doit être déclaré à la DDPP : « mise en place de troupeau » et « sortie de troupeau » : ce sont des formulaires simples à remplir. Pour la vente des œufs, il existe un formulaire de la DDT, facile à remplir lui aussi.

En conclusion, cette pratique se développe chez les arboriculteurs, elle demande a être adaptée aux objectifs et structures de chaque ferme et permet de rétablir un équilibre biologique dans le verger.

 

 

Règlementation

En fonction de la taille du cheptel, il existe des mesures plus ou moins contraignantes en terme de règlementation et traçabilité. Pour atteindre leurs objectifs de régulation des vergers, les arboriculteurs élèvent généralement moins de 250 poules et vendent leurs œufs en direct.

Les œufs d’un élevage de moins de 250 poules doivent être vendus en direct ou en dépôt-vente. Ils ne doivent pas être transformés. La ferme aux mille fruits les commercialise sur leurs marchés ou en AMAP. Les œufs doivent être datés et tamponnés avec le numéro de marquage d’œuf s’il sort de l’exploitation.

Pour le bien-être animal en AB, il faut laisser 10cm/perchoir et assurer 7 poules par nids et 6 poules/m². En terme de surface de parcours, la règlementation bio indique une densité de 4m²/poule si le bâtiment est fixe ou bien 2.5m²/poule si le bâtiment est mobile.

© ADABio

Rédigé par Céline Venot (ADABio)

Relecture par Morgan Boch (La ferme aux mille fruits), Pauline Bonhomme (ARDAB), David Stéphany (ADABio)

Crédits photos :ADABio

Article initialement publié dans La luciole n°29