François Borel – Caprin lait et oléiculture – Bouches-du-Rhône

Mon installation s’est faite hors cadre familial, c’est en 1996 que j’ai racheté cette exploitation qui était à l’abandon. J’ai alors défriché et déboisé les collines et petit à petit agrandi la surface en propriété. La ferme « La Jacourelle » compte aujourd’hui une centaine de chèvres du Rove pâturant sur 150 Ha de parcours boisés, 5 Ha d’oliviers cultivés en sec et 20 Ha de terres labourables. Avec ma femme nous transformons le lait sur place en tommes de chèvre et en Brousses du Rove. Les olives sont pressées dans un moulin du Luberon.

Un engagement environnemental dès le départ

Depuis le début, nous avons adopté une démarche respectueuse de l’environnement. Mon projet d’installation a été soutenu par différents  organismes (CERPAM, ONF, collectivités locales), en particulier pour son action dans la lutte contre les incendies par le sylvopastoralisme. Le choix d’une race menacée, la chèvre du Rove, locale et rustique, élevée en plein air toute l’année et qui valorise les terrains arides, en est aussi une bonne illustration. Enfin, en 2007 nous nous sommes engagés dans le programme AGIR et faisons partie du réseau de fermes exemplaires avec une réflexion sur l’utilisation de techniques culturales simplifiées et sur l’autonomie au niveau de l’énergie et de la production.

Une conversion militante

Pour moi, je suivais déjà à peu de choses près le cahier des charges de l’Agriculture Biologique. J’ai converti mon exploitation en bio afin de montrer que les pratiques utilisées en sylvopastoralisme en sont très proches, et pour faire reconnaître ce mode de production. Je n’ai donc eu pratiquement aucune modification à apporter dans la conduite de mon exploitation.

Dès mon engagement en 2009, les landes et parcours ont pu être labellisés. Le reste de l’exploitation est en cours de conversion. Les chèvres sont nourries à 80% par le pâturage en prairie ou en collines, et désormais les compléments en foin et céréales sont produits sur l’exploitation. J’ai été accompagné pour ma conversion par la Chambre d’Agriculture des Bouches du Rhône. La principale question qui s’est posée a été celle de la surface de la bergerie qui ne respectait pas la norme minimale de densité. Cependant les animaux ont un accès au plein air permanent et au pâturage tous les jours, les organismes de contrôle peuvent alors accorder des dérogations.

A priori peu de changements de commercialisation

Au niveau de la commercialisation, nous n’avons aucune difficulté pour vendre les fromages issus de la ferme. Le produit Brousse du Rove en particulier est un produit gastronomique, dont la demande est très supérieure à l’offre. Nous ne sommes plus que 8 producteurs dans les Bouches du Rhône, et nous nous sommes engagés dans une démarche pour l’obtention d’une AOC. A l’heure actuelle, y ajouter le label Bio n’aura pas d’impact intéressant au niveau commercial. Pour le moment, nous n’avons pas de problème de commercialisation non plus pour l’huile d’olive. Le seul changement est que notre conversion nous a ouvert les portes d’une AMAP à Lambesc. Cependant au vu de la conjoncture et des inquiétudes sur le marché futur de l’huile d’olive, la certification Agriculture Biologique nous apportera certainement une valeur ajoutée.

La conversion à l’Agriculture Biologique n’avait pas vocation de m’apporter une plus value au niveau commercial. Je cherchais avant tout à
faire reconnaître le mode de production que je pratiquais déjà. Les élevages pastoraux sont des systèmes avec très peu d’intrants et donc des charges minimales. En revanche la certification bio constitue une charge supplémentaire : cela me coûterait plus cher de faire du bio si je
n’arrivais pas à produire le foin et les céréales que je consomme. J’ai quelques craintes s’il y a de mauvaises années. C’est certainement pour
cette raison que nous ne sommes que deux éleveurs de Roves en bio dans le département. Cette conversion en bio m’apporte un sentiment
personnel de fierté. J’offre de bons produits et je me rassure en voyant que l’on peut trouver des alternatives aux traitements utilisés en conventionnel.

 

Extrait du recueil LIVRET DE TÉMOIGNAGES La conversion à l’agriculture biologique Tome 1, Des agriculteurs bien dans leur terre…, édité par Bio de Provence

Et depuis, que sont-ils devenus ?

Évolutions de l’exploitation depuis 5 ans

Il n’y a guère eu de changement dans notre système de culture au cours des dernières années. Nous élevons une centaine de chèvres du Rove, qui pâturent en prairie et sur colline dans des parcours boisés. Nous avons atteint 90% d’autonomie alimentaire sur la ferme pour les chèvres. Toute notre exploitation est maintenant convertie en bio, que ce soient les prairies, les fourrages, les céréales ou bien les oliviers. Je vais de moins en moins sur des terrains arides pour faire pâturer mes chèvres, car j’exploite de plus en plus de prairies, que je sème moi-même. Nous sommes passés à deux traites par jour, ce qui nous a permis de créer un poste et d’embaucher une salariée. Mais le grand événement récent a été le lancement, il y a à peine 2 mois, de l’AOC « Brousse du Rove », qui est la plus petite AOC fromagère de France. Nous sommes huit producteurs à
l’avoir initiée. Ce label existe essentiellement pour nous protéger de ceux qui vendent une brousse non authentique. Ce n’est pas un label destiné à des fins commerciales car il y a d’ores et déjà plus de demande que d’offre pour ce produit. Au sein de cette AOC, nous ne sommes pas tous en bio mais les pratiques du cahier des charges s’en approchent.

Je collabore également avec un maraîcher du village. Cela nous a permis d’acheter ensemble une petite moissonneuse-batteuse que je peux utiliser sur mes petites parcelles peu accessibles. Pour l’huile, j’ai finalement fait le choix de ne pas mettre en place mon propre atelier de pressurage sur la ferme. La personne qui se charge de la transformation travaille bien, et je ne suis pas sûr que je puisse faire mieux. De plus, ce moulin est maintenant certifié en bio, et cela uniquement pour ma production !

Des pratiques toujours plus respectueuses des animaux et de l’environnement

Nous faisons de l’auto-production de semences sur l’exploitation en céréales et en fourrages. Je cultive environ dix variétés différentes. Notre exploitation répond au cahier des charges de Nature & Progrès, mais nous avons fait le choix de ne pas y adhérer : cela ajoute un coût et des contraintes supplémentaires, et je suis déjà investi dans de nombreux autres organismes.

Ces dernières années, je me suis particulièrement intéressé à la question des soins alternatifs aux animaux, et c’est notamment ma conversion à l’agriculture bio qui m’a poussé à me tourner vers ces pratiques. J’ai pu me former grâce au groupe d’éleveurs Eliose et aux vétérinaires
du GIE Zone Verte. L’homéopathie et la phytothérapie sont très efficaces et m’intéressent beaucoup. Je me suis même investi au sein du groupe Eliose, et nous réfléchissons à une vision globale du troupeau. Nous n’appliquons pas de traitement préventif aux animaux.

Des résultats économiques améliorés

Le prix des aliments (fourrages, céréales) pour les animaux en bio est élevé, mais quand on peut être autonome au sein de son exploitation, cela ne se ressent que lors des mauvaises années. C’est d’ailleurs, pour nous, plus rentable économiquement d’être en bio, car on est autonome en fourrage. J’ai pu constater une nette diminution des coûts liés aux traitements des animaux, du fait du passage à l’homéopathie et à la phytothérapie. Ça m’a permis de faire 80% d’économie sur les soins. Avant, je dépensais environ 300€ dans les vermifuges et maintenant cela tourne autour de 35€ pour le troupeau et par an !

Quelques difficultés rencontrées durant ces 5 années

La race utilisée, la chèvre du Rove, n’est plus une espèce menacée car il existe actuellement plus de 10 000 mères. Je pense que cette race rustique n’est peut-être plus la mieux adaptée à mon système de culture, qui a évolué. En effet, mes chèvres pâturent davantage en prairie où l’alimentation est très riche, et de moins en moins sur des parcours plus arides. Ce type d’alimentation conviendrait mieux à la race locale, la Commune  Provençale. Elle est mieux adaptée à mon système actuel pour une année de pluviométrie dans la moyenne. Cependant, lors des années de grosse sécheresse la Rove tirera mieux son épingle du jeu !

La Mouche de l’olive est un vrai problème pour nous oléiculteurs. Je suis cependant satisfait des résultats obtenus grâce aux traitements à l’argile
en solution. D’après mes sources, le traitement à l’argile appliqué consciencieusement aurait même été plus efficace que les traitements chimiques pour contrer cet insecte la saison dernière au cours de laquelle il a été particulièrement virulent. D’ailleurs je suis en désaccord avec l’interprofession de l’olive qui demande la possibilité d’augmenter le nombre de traitements chimiques, plutôt que de se tourner vers des traitements naturels.

Fier de son système d’élevage !

Pour moi, une fois que l’on est en bio, on s’ouvre davantage aux pratiques alternatives qui peuvent exister. On cherche des solutions pour répondre
à des problèmes que l’on rencontre et que l’on ne va pas « résoudre » avec des molécules chimiques mais seulement « masquer ». Et j’éprouve une certaine fierté de pouvoir faire aussi bien que les conventionnels, au niveau de la performance, mais sans nuire à l’environnement !