Gestion des goûts de souris en bio : quels sont les leviers à activer pour s’en prémunir ?

Publié le : 24 avril 2024

Les goûts de souris (GDS) sont en recrudescence ces dernières années et touchent toute la filière vinicole. Cette tendance est multifactorielle, mais a deux origines principales : microbiologique et physico-chimique. Retour sur les dernières avancées de cette déviation encore peu connue des consommateurs

Caractéristiques

Le goût de souris ou plutôt devrait-on dire  les gouts de souris est une déviation organoleptique, un défaut seulement détectable à la dégustation en retro-olfaction qui suggère plusieurs odeurs telles que :

  • Urine de souris
  • Odeur de pop-corn
  • La peau de saucisson
  • La Serpillère
  • La cacahouète/le riz

 Comment les détecter ?

Au pH du vin, le gout de souris n’est pas perceptible et il existe une grande différence de perception de ce défaut en fonction des dégustateurs et selon les moments de la dégustation. Cela est dû au fait que la forme aromatique des molécules n’apparait que lorsque le pH augmente au contact de la salive (pH > 5). Or, chaque dégustateur possède un pH de salive spécifique.

Une bonne manière d’uniformiser la détection du gout de souris est de rajouter une pincée (5g/hL) de bicarbonate  de soude dans le verre et d’évaluer l’intensité du défaut à l’odeur.

Il n’existe pas aujourd’hui de méthode officielles et validées par l’OIV.

Les origines

Les molécules à l’origine des GDS sont principalement issues du métabolisme des bactéries lactiques, et notamment d’Œnococcus œni, responsable de la fermentation malolactique. Les Brettanomyces, tenues un temps responsables de la métabolisation des GDS, ne semblent finalement pas fortement impliquées, mais les phénols qu’elles produisent joueraient plutôt un rôle d’exhausteur (GDS rappelant plutôt la peau de saucisson dans ce cas).

Brettanomyces B. (levure en bleu foncé)(x800)

Oenococcus Oeni en chainette (x1000)

À partir de deux acides aminés, l’ornithine et la lysine, deux molécules de pyridine et une molécule de pyrroline sont synthétisées :

  • ATHP (2-acétyl-tétrahydropyridine): a priori la plus responsable du défaut ;
  • ETHP (2-éthyl-tétrahydropyridine);
  • APY (2-acétyl-pyrroline).

Schéma du métabolisme de l’ATHP et de l’APY

Ce même échantillonnage montre que 70 % des vins ayant générer des GDS ont subi une piqûre lactique, indiquant un développement bactérien précoce et important avant la fin de la FA qui a conduit à une hausse plus ou moins significative de l’acidité volatile.

La majorité des GDS seraient donc à mettre en lien avec un développement bactérien sur sucre, souvent symbole de FA languissante avec un déséquilibre des populations microbiennes en faveur des bactéries lactiques. Les concentrations élevées en amine biogène retrouvées dans ces vins confirment cette hypothèse.

Il semblerait aussi que la prise d’oxygène puisse former de nouvelles molécules aromatiques de GDS, toujours à partir de mêmes acides aminés précurseurs. La présence d’ions métalliques, ferreux et cuivrique principalement, serait aussi un catalyseur très puissant dans la synthèse de ces GDS lié à cette prise d’oxygène. L’intensité des GDS souris serait donc liée à la résistance du vin à l’oxydation couplé à la teneur en acides aminés précurseur, ainsi que sa concentration en ions métalliques (souvent relarguer par du vieux matériel vinaire). La teneur en acide aminés précurseurs semblerait aussi fluctuante en fonctions de sa concentration initiale dans les moûts et un possible relargage par les lies de fermentation lors de leur autolyse dans les premiers mois d’élevage. Ce qui expliquerait pourquoi certains vins sur lies totales ont plus tendance à révéler des gouts de souris en élevage et ce malgré celles-ci qui protègerait le vin de l’oxydation.

Enfin, on constate que si un peu d’oxygène fait apparaitre les GDS, plus d’oxygène les fait disparaitre. Cela veut dire qu’une fois les molécules de GDS synthétisé, si celle-ci s’oxyde ensuite complétement, ne les rendant plus détectable à la dégustation (ni dosable en laboratoire d’ailleurs). L’oxydation ménagée comme l’élevage en fût de chêne, est intéressant de ce point de vue-là et on comprend ainsi mieux pourquoi ce défaut touche uniquement les jeunes vins.

Quels sont les leviers pour s’en prémunir ?

En lien avec ce que l’on sait, deux leviers peuvent être activés pour tenter de se prémunir des GDS :

1.Le contrôle microbiologique

Il faut limiter le métabolisme bactérien, surtout si la FA n’est pas finie. Pour limiter le développement bactérien en FA, il faut que les levures occupent le milieu rapidement et que la FA soit franche (attention aux carences azotées et lipidiques). Pour cela, l’utilisation d’un pied de cuve (PDC) peut se révéler intéressante. Le sulfitage du PDC est alors recommandé pour mieux s’en passer ensuite et limiter le développement bactérien.

Les vins à pH élevé et TAVP moyen sont les plus sensibles au développement bactérien important de fin de FA ou post-FA.

Le SO2 reste également un moyen efficace de contrôler les populations bactériennes. Avant FA, il inhibe leur croissance et fait même diminuer leur population initiale. En cours de FA, il évite leur multiplication excessive après la fermentation malolactique et empêche qu’elles s’attaquent aux sucres et provoque une piqure lactique. Enfin, si la fermentation malolactique a lieu après la FA, un sulfitage précoce dès la fin de celle-ci évite aussi leur prolifération. Un niveau compris entre 10 et 20 mg/L de SO2 libre est suffisant (20 mg/L si pH > 3,4).

2.Le contrôle physico-chimique et la gestion du potentiel redox

Deux stratégies sont à envisager ici :

  • Soit l’on garde le vin en réduction le plus possible jusqu’à la mise en bouteille :

Si l’on veut travailler sans soufre, il faudra être vigilant aux apports d’oxygène pendant les étapes de stockage, de transfert et de conditionnement, l’utilisation d’azote pendant les phases de transfert et lors de la mise en bouteille est recommandée si les tests de tenue à l’air indiquent la présence de GDS. C’est une stratégie assez facile à mettre en œuvre sur les vins ayant une bonne résistance à l’oxydation mais un peu plus compliquée sur les autres vins plus sensibles comme les vins blancs et les vins rouges légers. Pour ces derniers, l’ajout de SO2 après FA et avant mise en bouteille reste le meilleur moyen de s’en prémunir en général, même à de faibles doses. L’objectif est de tamponner la prise d’air en combinant l’oxygène dissous avec le SO2 rajouté (2,5 mg/L de SO2 combine 1 mg/L d’oxygène dissous. Une mise en bouteille dissous entre 1 et 4 mg/L d’oxygène en moyenne).

On évitera aussi de garder le vin sur lies totales et on effectuera un soutirage rapidement après la fin des sucres pour éviter toute oxydation liée à cette opération.

  • Soit l’on travaille sur l’oxydation ménagée en élevage:

Dans le cas des élevages plus prolongés et si l’on ne veut pas utiliser de soufre, on peut alors accepter d’avoir des GDS sur cuves au départ afin qu’ils disparaissent petit à petit dans le temps et que le vin se stabilise. Pour une mise en bouteille assez précoce, il y a un malheureusement un risque que les GDS souris persistent après mise en bouteille. Seul le temps permettra de s’en affranchir alors et on devra peut-être retarder sa mise sur le marché. L’ajout de SO2 à la mise dans le cas de GDS sur cuve permet rarement de s’en débarrasser complétement tout en les fixant dans le temps.

Dans ce cas alors, une solution pour sans affranchir plus vite peut être un ajout de lies de vin blanc (à 1 %), à condition que celles-ci proviennent d’une cuve saine, qui a bien fermentée et qu’elles soient bien oxydées et autolysées pour éviter un relargage d’acides aminée précurseur de ce défaut.

Conclusion :

Malheureusement, les GDS apprécient les nouveaux modes de consommation, soit les vins légers, sans soufre ajouté et rapidement mis sur le marché. Pour essayer de s’en prémunir le plus possible, il est alors très important d’avoir une bonne maitrise de ses fermentations alcoolique et de son élevage. Concernant les vins sans aucuns intrants ajoutés, les leviers les plus puissants se trouvent à la parcelle, des vignes équilibrées et en bonnes santés sont un prérequis pour limiter leur apparition, puis ensuite vient l’élevage, où le temps sera votre meilleur allié à conditions d’avoir de bonnes conditions de stockage.

Rédaction et crédits photos : Jérémie Cébron – Oenologue à la Coordination Agrobiologique des Pays de la Loire et mandaté Itab/FNAB.