Diversifier la rotation : la lentille, une légumineuse qui ne manque pas d’intérêts !

Publié le : 30 avril 2020

La rotation en AB est un pilier de la fertilité des sols et de la gestion des adventices. L’allongement de la rotation et la diversification des espèces sont des leviers importants dans la construction d’une rotation cohérente. Dans ce cadre, les intérêts d’intégrer des légumineuses dans les rotations AB sont largement reconnues, notamment leur capacité de réaliser une symbiose avec les nodosités fixatrices d’azote atmosphérique, ce qui permet d’amener de l’azote dans le système et de limiter les apports de fertilisation à l’échelle de la rotation. Un groupe d’agriculteur des Monts du Lyonnais (Rhône et Loire) s’est penché sur l’intégration d’une d’entre elle : la lentille.

 

Intérêts et contraintes : retours d’agriculteurs

 

 

Points de vigilance

  • La lentille est sensible à l’aphanomyces. Pour limiter le risque, il est important de respecter un délai de 4 à 5 ans minimum entre 2 légumineuses en pur. Selon l’agriculteur bio expert sur le sujet venu de Haute-Loire pour échanger avec le groupe, l’optimum serait un délai de retour de l’ordre de 10 ans, tout en gardant à l’esprit que c’est difficilement réalisable.
  • La gestion des adventices est « LE » point délicat de la culture. Il vaut mieux implanter des lentilles sur des parcelles laissées « propres » d’un point de vue flore adventice. Les solutions de désherbage sont limitées par la suite.
  • Carence en bore, les rendements pourraient être impactés. Selon le retour d’expérience de l’agriculteur expert, les essais ont montré que les carences en bore pouvaient diminuer de manière non négligeable les rendements, une analyse de sol est conseillée en amont de la culture pour adapter la fertilisation.
  • La moisson, une affaire à ne pas prendre à la légère.
    La moisson, bien que nécessitant une moissonneuse à céréales classique, nécessite quelques précautions. La moissonneuse batteuse se doit être équipée de doigts releveurs rapprochés et doit être bien réglée. Il est primordiale de prévenir votre prestataire en amont et être présent à la récolte. Prévoir un temps pour nettoyer la machine avant moisson, et après moisson, par aspirateur ou en versant de la sciure de bois.
  • La rapidité est de mise pour le pré-nettoyage.
    Le pré-nettoyage juste après récolte est très important, il permet de séparer grossièrement les impuretés des lentilles afin de conserver dans de bonnes conditions la lentille avant le tri complet. Il peut se faire avec les mêmes outils que pour trier/nettoyer les céréales.
  • Que faire contre la bruche ?
    La bruche est un coléoptère dont la lentille (et d’autres légumineuses) est la plante hôte. L’adulte sort de la graine durant le stockage. En AB, le principal moyen pour les détruire est la congélation durant 25 jours à -20°C, il existe aussi d’autres méthodes moins développées et plus couteuses telles que les systèmes d’atmosphère contrôlée.

 

Une opportunité économique

  • La vente directe : demande importante et bonne valorisation (moyenne de 5€/kg) mais prendre en compte le temps de vente ainsi que les étapes à réaliser : tri, congélation, ensachage 500gr ou 1kg (sauf si vendu en vrac).
  • Circuits courts : demande importante, souvent en lien avec des magasins de producteurs, magasins spécialisés, ou plateformes locales de produits bio. Valorisation variable (en moyenne 3,50€/kg). Le tri et la congélation ainsi qu’un ensachage en sac de 25kg voir en plus petits formats reste à la charge du producteur.
  • Circuits longs: demande importante de la plupart des opérateurs économiques du territoire. Une fourchette de prix large souvent comprise entre 1,20 et 1,50 €/kg. Seul le pré-nettoyage est à la charge du producteur.

Article rédigé et propos recueillis par Gaëlle CARON, ARDAB.

Témoignage d’agriculteur 

Jean Paul ONZON, agriculteur bio à ENNEZAT (63), cultive de la lentille depuis plusieurs années et nous décrit dans ce témoignage les particularités et intérêts de cette culture dans un assolement bio. Propos recueillis par Romain Coulon, technicien grandes cultures à BIO63

Quel est l’intérêt de la lentille dans votre rotation ?
« Pour moi, la Lentille est une légumineuse de plus dans ma rotation. Elle a donc les mêmes intérêts que les légumineuses les plus courantes (féverole, pois, soja, etc.). Elle constitue néanmoins une diversification de plus dans la gestion de mes assolements et de mes périodes de semis. »

Pourquoi la mettre en association avec la cameline ?
« Le semis de la cameline est effectué pour couvrir mieux le sol et aider la lentille à rester propre. De plus, il y a un intérêt à la récolte car il vaut mieux moissonner de la cameline qui est vendable que des impuretés qui peuvent poser soucis. Cependant, après plusieurs années d’expériences sur cette technique je peux dire que, comme toutes les cultures dites « associées », on sait ce que l’on sème et pas ce que l’on récolte. La cameline est une petite graine et son semis n’est pas toujours évident à mettre en œuvre des années sèches. C’est donc un levier de plus qui peut avoir son importance mais pour moi la gestion de l’enherbement se raisonne plus à l’échelle de la rotation puis aux observations de l’année que sur un levier qu’on ne gère pas totalement. Il reste indéniable que quand la cameline est présente, cela facilite la récolte en permettant à la Lentille de mieux se tenir. »

Comment valorisez-vous cette production ?
Toute ma production de Lentille est vendue en directe à des consommateurs, des magasins et/ou des restaurateurs soucieux de la provenance des matières premières. Je trouve très valorisant sur un plan humain et personnel d’aller à la rencontre des clients et d’avoir leur retour sur la qualité et/ou l’intérêt qu’ils voient dans mon produit. Cela permet également d’expliquer notre travail aux clients, de parler de ce qui est possible ou pas possible en Bio et d’une manière générale de renforcer et entretenir la relation de confiance qui s’installe.

Et économiquement, c’est intéressant ?
Sur le plan économique, le temps passé pour la gestion de la vente n’est pas fortement rémunéré. Je n’ai pas tous les chiffres en tête puisque je ne calcul pas mon temps de travail dans le détail mais entre le temps passé au tri, au conditionnement, à la livraison, au téléphone…Toutes cela prend du temps et serait à comptabiliser dans le calcul de la marge de la culture. Mais l’intérêt économique, pour moi, ne permet pas de se lancer dans la vente directe si on n’apprécie pas le contact avec le consommateur.

Quel intérêts/Limites de la lentille noire par rapport à la lentille verte ?
Depuis l’année dernière je produis de la lentille Noire « Beluga » appelée aussi la Lentille caviar. Je tente de développer cette variété car j’ai un retour très positif de la part des consommateurs d’un point de vue saveur et esthétique de la graine. C’est également une façon pour moi de me départager des autres producteurs. Pour le moment je suis le même itinéraire technique pour les deux lentilles. Mais je trouve que la lentille Noire est plus difficile à réussir.  Cela ne fait que trois ans que je produis de la lentille sur ma ferme donc le recul me permettra sûrement d’améliorer les choses. La principale difficulté par rapport à la lentille verte, c’est de trouver la semence.

Quelles limites à la culture et pourquoi ne pas mettre plus de surface vue la demande ?
Je ne veux et ne peux pas augmenter la surface en lentilles (2 ha) pour des raisons agronomiques. Toutes les parcelles de la ferme ne pouvant pas recevoir de la Lentille. De plus, la lentille reste une culture salissante de par son faible développement végétatif. La moisson est souvent compliquée car toutes les graines ne sont pas mures en même temps et/ou le taux d’impuretés peut poser soucis pour le nettoyage du grain et la commercialisation en directe à la suite.  De plus, ma rotation est déjà chargée en légumineuses. Je mets en place de la Luzerne, des féveroles, du pois, du soja…Il y a donc des risques de maladies comme l’aphanomycès qui perdure dans les sols grâce aux légumineuses. La Lentille est très sensible à cette maladie (surtout les années humides) qui induit un pourrissement des racines. La prudence est de mise pour ne pas compliquer par la suite les rotations. Puis pour finir, je ne peux produire que ce que je peux vendre ! Je suis double actif, mon temps de travail est limité et comme je vous le disais la vente directe prend beaucoup de temps. Il faut donc que cela reste soutenable humainement.

Selon vous que faudrait-il faire pour développer cette culture en Auvergne ?
Plus de paysans Bio ! Les surfaces par exploitation ne seront jamais conséquentes pour cette culture vu la prise de risque.  Si on veut répondre à la demande en constante évolution des consommateurs, il faut plus de conversions et s’organiser collectivement pour se sécuriser et mutualiser cette prise de risque à une plus grande échelle. Le travail technique sur les itinéraires, la place dans la rotation, l’équipement (écimeuse, faucheuse-andaineuse) ou encore la mise en place d’une sélection variétale adaptée au contexte de l’Agriculture Biologique permettrait également d’accompagner ce développement.

Pour avoir plus de détails techniques sur la culture de la lentille chez jean Paul ONZON RDV sur le blog des « Bio motivés de Limagnes » : https://culturesbio63.wordpress.com/