Créer son atelier PPAM bio sur une ferme céréalière, portait de Sylvia Hirschi, « Les Jardins de la Cure ».

Publié le : 2 novembre 2020

Installée en 2015 avec son mari sur la commune de Beauvoir sur Mer, commune vendéenne au pied de l’île de Noirmoutier, Sylvia Hirschi nous amène à la découverte de son histoire et de son système global basé sur la diversification et la transformation d’une cinquantaine de plantes.

 

En quelques mots, peux-tu nous présenter ton parcours et quelles ont été tes motivations pour te lancer dans la production de PPAM Bio ?
J’ai grandi en Suisse et dans le Jura. Mes grands parents étaient paysans, j’ai donc été toute petite « baignée » dans cet univers de la terre.  J’ai démarré dans le milieu professionnel par un apprentissage d’assistante en pharmacie puis j’ai enchainé avec un diplôme d’infirmière en psychiatrie. La passion pour les plantes s’est concrétisée lorsque j’ai obtenu mon diplôme de naturopathe en 2012. Frustrés de ne pouvoir obtenir des plantes locales et de qualité et éprouvant un raz le bol dans un système de santé à bout de souffle, nous décidons avec Lionel, mon mari, de démarrer la culture des PPAM au sein de la ferme installée en grandes cultures (blé tendre 70% et le reste en fèverole, lentille, luzerne et pois chiche). Afin de s’imprégner du métier, nous allons faire des stages à la rencontre des producteurs du syndicat des Simples dans les massifs. Je n’ai pas suivi de formations spécifiques avant mon installation (BPREA, CSPPAM…) ; le projet s’est mis en place en 2015. J’ai continué mon activité d’infirmière libérale en parallèle durant 2,5 ans afin d’être plus sereine financièrement. Una activité où il est difficile de tout faire mais jouable quand même. J’ai l’impression d’avoir appris grâce aux partages avec les autres producteurs et en observant mon jardin.

 

Quelques repères sur le système de production


• Mai 2015 : Installation, plantation sur une surface de 2500 m² d’une trentaine de plantes avec l’objectif de pouvoir récolter dès la première année.
• Noël 2015 : Première vente de nos produits avec une gamme de 6 mélanges de tisanes, 4 mélanges d’aromates et 3 baumes de soins. Rapidement, nous sommes démarchés par 5 magasins (Biomonde Challans, Super U Beauvoir sur mer et U-Express à Barbatre, Lycée nature à La Roche sur Yon, magasin bio à Noirmoutier). Cela me suffisait, dans un premier temps, car avec un double emploi il fallait pouvoir assumer la transformation et aussi la quantité de plantes sèches récoltées. Inévitablement, j’ai acheté plus de plantes durant les 2 premières années.
• 2016 : Lancement d’une activité de « distillation » avec un alambic en inox de 60 litres, auto-construit. Nous avons distillé 10 plantes et augmenté la gamme des tisanes à 11 mélanges.
• 2019 : 2 UTH, moi à temps plein et Lionel à 30 à 40 % de son temps en plus des céréales. Une stagiaire au printemps, 2 à 3 personnes en juillet- août (woofeurs et stagiaires), 51 espèces de plantes, production et cueillette sauvage.

 

Points de repères, volet « PRODUCTION »

  • Fertilisation et Gestion du sol: en termes de fertilisation, nous utilisons du fumier de bovins mais pas systématiquement sur toutes les planches chaque année. Cela se fait avant la mise en place des cultures plus gourmandes comme les lamiacées, menthes et mélisses par exemples. On utilise également du BRF quasiment sur toutes les vivaces mises en place en 2019 (thym, romarin, sarriette, origan, sauge off, hélichryse, rose..) avec de très bons résultats pour le moment (plantes moins éprouvées à cause de la canicule /sécheresse, gain de temps au désherbage au printemps) et depuis cette année, sur les rangs de géranium et angélique. Depuis 2019, la paille est mise en place en Juin sur les annuelles : souci, bleuet, mauve, agastache et nous observons de bons résultats également. Il faut du temps pour connaitre suffisamment son terrain, l’endroit propice à l’installation des vivaces…; c’est pourquoi il est bien de faire des essais en amont pour ne pas avoir de grosses surprises. Sur un terrain trop inondé durant l’hiver, le thym poussera moins bien, le souci aime les espaces bien ventilés, la verveine c’est le contraire etc.
    • Semis : à ce jour, nous faisons nos semis d’annuelles de menthes et mélisse, camomille…mais j’achète encore les jeunes plants de thym, origan, hélichryse, etc. Selon nos calculs, cela en vaut la peine (rapport qualité prix, coût du temps passé, du terreau, des échecs…).
  • Les entre-rangs: nous avons opté pour une implantation à 1.50 mètre pour permettre le passage de notre tondeuse et pour avoir plus de place pour disposer les draps lors de la récolte. Du trèfle a été semé en 2015 pour la préparation du sol avant plantation, mais le résultat a été peu satisfaisant car difficile à désherber et très envahissant. Depuis 2018, nous semons du ray-grass qui couvre bien le sol et est facile à tondre.
  • Désherbage: le désherbage doit être régulier et quotidien, au fur et à mesure des besoins, pour tenter d’aérer notre terre très lourde. Je compte environ 8 à 10 heures de désherbage par semaine, lorsque le gros désherbage du début de printemps est fait et que tout est planté. Concernant le matériel, j’utilise une bineuse électrique (Cultivion) pour enlever les grosses herbes sur le rang puis je termine à la bèche et à la main. Les planches de camomille, menthes et mélisse doivent être vraiment bien désherbées pour faciliter leur croissance et la récolte. Un passage de Rotavator est fait de chaque côté lorsque les plants sont petits, 2 à 3 semaines après la plantation. Mais nous avons encore besoin de réfléchir sur cet outil pour trouver quelque chose de plus performant et plus facile à utiliser car ce dernier peut abimer la plante.
  • Irrigation: nous disposons de deux puits et depuis cette année, nous avons installé du goute à goute sur beaucoup de planches, sauf pour quelques vivaces comme les thyms, hélichryses etc. Un appoint est réalisé avec le tuyau d’arrosage et la tonne à eau, surtout en début de saison après la plantation, lorsque le désherbage de la menthe est effectué, et le temps que tout le système soit installé.

 

Points de repères, volet « TRANSFORMATION »

  • Plantes sèches : nous séchons les plantes dans deux armoires auto-construites en bois naturel, 24 m² chacune (claies de 1 m²). L’année dernière, nous avons acheté une vieille batteuse pour trier thym, sarriette et origan, un gain de temps considérable. Nous mondons à la main les plantes séchées comme les menthes, mélisse, et autres, idéalement durant l’hiver mais souvent aussi durant la saison ; on y passe beaucoup de temps ! Une fois que tout est trié, faire les mélanges et ensacher, c’est assez rapide. A titre d’informatif sur la saison 2019, nous avons récolté 680 kg de plantes poids frais (140 kg poids sec).
  • Distillation : depuis 2016, nous distillons tout en frais. Les plantes vont directement dans la cuve une fois récoltées sauf pour le laurier et le romarin où nous utilisons un hache-paille pour réduire les tiges en petits morceaux. Ce phénomène permet un meilleur rapport de force pour le passage de la vapeur, les plantes doivent être bien tassées dans la cuve. Le savoir-faire de la distillation nécessite une ou des petites formations car le domaine est assez technique. Lors de la campagne 2019, nous avons distillé 28 plantes pour un volume total de 360 litres distillés au travers de 44 distillations.

 

Points de repères, volet « COMMERCIALISATION »

A ce jour, nous proposons plusieurs gammes de produits telles que 15 mélanges de tisanes, 8 eaux florales, 6 mélanges d’hydrolats que j’ai appelé « les synergies » pour un usage interne, 3 baumes de soin, des aromates et des pestos d’ail des ours.
• chiffre d’affaires brut sur l’atelier PPAM : 30 000 euros (59% plantes sèches, 33% hydrolats/eaux florales, 4% baumes, 3% en aromates, 1% pesto)
• 44 % en vente directe : dans notre boutique tous les mercredis soir et durant l’été lors des visites de jardins une fois par semaine, un marché de producteurs touristique juillet/août, un marché de Noël et trois gros marchés régionaux qui se font une fois dans l’année. Nous vendons aussi de la farine et des lentilles de la ferme qui demeurent des produits d’appel importants pour la vente de nos tisanes et hydrolats.
• 56 % vente en magasin: nous travaillons avec environ quinze points de vente majoritairement à l’échelle locale dont des magasins spécialisés Bio (Biocoop, Biomonde), la grande distribution (Super U, U-express), des épiceries Vrac, des instituts de Beauté et un magasin de producteurs.

 

Quel bilan et analyse fais-tu de ton système après ces cinq premières années ?
Tout d’abord, une immense satisfaction dans le travail accompli, une qualité de vie pour ma famille et moi-même, du sens dans mon vie. Egalement une continuité dans mon rôle de soignante grâce aux plantes. Attention quand même, ce travail peut être épuisant si on n’est pas suffisamment vigilant car il est très énergivore et demande beaucoup de force physique.  D’où l’importance de mettre en place dès le début des mesures : une bonne irrigation (goute à goute), une aide mécanisée ou du BRF pour le désherbage. Et surtout, ne pas se laisser envahir par toutes les priorités que nous avons en même temps pendant la saison. Pour exemple, j’ai donné des délais de 8 à 10 jours de livraison pour les magasins pour me permettre de m’organiser dans la transformation qui prend ENORMEMENT de temps. La ferme est arrivée à sa taille humaine, 1 hectare est vraiment la surface que l’on peut exploiter lorsque le travail se réalise à la main et que l’on transforme ses produits. « J’ai l’impression d’avoir appris grâce aux partages avec les autres producteurs et en observant mon jardin ».

 

 

Article rédigé par Emmanuelle Chollet (Cab Pays de la Loire)